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N° 242 - SEMAINE DU 14 AU 20 JANVIER 2021

Peynet
Cette semaine, on va parler de cinéma - et d'amour - puisque, même si nous voila libres de sortir, les lieux de culture restent désespérément et injustement fermés...

Emmanuel Mouret le dit : il fait du cinéma pour voir. Et c'est bien cela dont il s'agit : les artistes nous donnent le monde à voir, nous donnent l'autre à voir. Ils nous proposent des angles, des sensations, des émotions, d'autres points de vue, d'autres cultures, d'autres façons de penser. En l'absence de spectacle vivant - ce théâtre, notamment, qui, de tous temps, nous a appris à rencontrer l'autre, à apprendre de nos différences - il nous faut chercher à faire ces rencontres différemment, puisque même dans notre cercle rapproché on nous intime l'ordre de nous couper de nos proches.

On a choisi de vous parler d'Emmanuel Mouret car peut-être certains, comme nous, le connaissaient peu ou mal. Parce que son cinéma comporte une vraie dimension d'auteur, un espace poétique, et nous interroge sur les relations amoureuses. Même si la vie qu'il nous montre est encore une fois celle d'hommes et de femmes privilégiés, Parisiens, cultivés, cette légèreté et cette délicatesse nous font du bien, nous font flotter comme au bout d'un ballon à la manière des amoureux de Peynet...
CAPRICE
Donc, une fois de plus, c'est arte qui nous offre un cycle de découverte d’un·e réalisateur·rice, histoire d’entrer totalement dans la compréhension d’une œuvre. Cette fois, il s’agit d’Emmanuel Mouret, que, va savoir pourquoi, nous prenions pour un créateur de prêt-à-porter et n’arrivions pas à cerner malgré « Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait » sorti cette année. Ce réalisateur et comédien d’origine marseillaise, qui prononce délicieusement les « o » en « au » aime donner la parole aux femmes : Emilie Dequenne, Virginie Ledoyen, Judith Godrèche, Julie Depardieu… Une parole libre, où les femmes sont personnages principaux, actrices de leurs vies, libres d’exprimer leur attirance, et non pas filmées avec le traditionnel point de vue masculin, le fameux « male gaze ». Même si, ne nous emballons pas, Mouret filme, comme la majorité des réalisateurs français, un Paris Haussmannien et des profs avec des livres dans leur bibliothèque, il le fait avec talent, dans un stylisme assez impeccable, notamment dans sa façon d’habiller les actrices. Mouret aime l’ivoire, le blanc, les jupes droites beiges et les trench-coats pour les filles, les vestes en tweed et les chaussures anglaises pour les garçons, et il annonce les coups de théâtre avec du rouge, logique. Mouret aime la musique classique, elle accompagne tous ses films, Schubert, Tchaïkovski, Dvorak, Sibelius…
conte été Rohmer
le dernier métro Truffaut
monsieur Hulot Tati
la party
la main au collet
Son parti-pris de filmer l’amour et ses hésitations, ses non-dits, sa timidité, à travers des personnages souvent maladroits – notamment les hommes, et lui en tout premier lieu – le rapproche – avec moins de cérébralité – d’un Rohmer, ou – avec moins de réalisme - d’un Truffaut. On pense à Marivaux ou Musset, dans ces personnages qui passent plus de temps à parler d’amour qu’à le faire, on pense à Tati ou Blake Edwards pour les attitudes décalées, burlesques et lunaires de ces héros masculins, on pense à Hitchcock et ses héroïnes blondes et parfaites.
On prendra donc plaisir à découvrir cet univers doux, tendre, drôle, aux jolis dialogues bien écrits et aux personnages légèrement flottants, même si le goût restant en bouche après le générique de fin peut se révéler assez volatile.

A ce jour, nous avons donc vu quatre films qui de prime abord, nous ont paru semblables, en réalité très différents. (Les liens sont sur les affiches)
caprice
Un triangle amoureux (presqu’un quatuor) hommage aux comédies classiques américaines classiques à la Cukor. Anaïs Demoustier et Virginie Effira y endossent des personnalités étonnantes : la première, en bombers coloré, drague effrontément le héros, jusqu’à le poursuivre aux frontières d’un harcèlement Hitchcockien ; la seconde, rêveuse icône hollywoodienne, talons hauts, manteau blanc parfait, entre Lauren Bacall et Grace Kelly, ne rêve que de stabilité et vie de famille. Entre les deux balbutie Emmanuel Mouret, gentil professeur des écoles sans volonté, troublé par le désir des femmes, récit à la lisière du conte.
Mouret
Frédérique Bel joue un très joli rôle poétique, fantasque et touchant, qui mérite à lui tout seul que l’on regarde le film, une actrice pour laquelle Mouret a littéralement eu une « vision ». L’histoire y est encore la même que celle de tous les films de Mouret : l’amour, l’amour, l’amour. L’amour qui se trompe d’objet, fait des tours et des détours, et revient à son point de départ, là sous les yeux d’un héros timide, rêveur et maladroit, toujours incarné par Mouret lui-même et sa pointe d’accent marseillais délicieuse.
Fais-moi plaisir
Un film très dessiné, où le corps se plie et se déplie, se coince, s’étire et fait rire. Le film le plus franchement burlesque des quatre. On pense à Rumba, on pense aux Vacances de Monsieur Hulot, on pense à La Party, on pense à Harold Lloyd et Buster Keaton. Plus outré, plus marqué, plus délirant, que les précédents, ponctué par de très belles scènes presque oniriques, « Fais-moi plaisir » est bourré de symboles à décrypter, de références à découvrir, mais il est aussi très primaire, comme une bande-dessinée colorée. Dans cette nuit délirante menée encore une fois à la manière d’une comédie américaine, le héros rencontre une galerie de personnages ultra travaillés, dans un travail de photographe qui fait hommage – en beaucoup plus soft – à David LaChapelle ou Pierre & Gilles. Sans doute le film le plus chiadé des quatre, à voir et revoir comme un cas d’école.
mouret
Notre préféré. Le plus littéraire. Le plus écrit. Le plus élégant. Le plus fin. Le plus théâtral. Julie Gayet raconte avec grâce et finesse, à la manière d’une narratrice très 18e siècle, qui n’est pas sans rappeler les voix off des Truffaut.

Un film gigogne, une histoire dans l’histoire. Emilie (Julie Gayet) rencontre Gabriel (Michael Cohen) à Nantes, ils ne sont libres ni l’un ni l’autre, passent une soirée qui pourrait s’achever sur un baiser, mais la peur des conséquences amène la jeune femme à raconter l’histoire de Judith (Virginie Ledoyen) et Nicolas (Emmanuel Mouret) qu’un baiser a entraîné dans la passion et l’adultère. Encore et toujours fidèle à sa gamme chromatique, ses immeubles bourgeois, ses références, ses croisements amoureux, ses personnages coincés de la parole à la Modiano, « Un baiser s’il vous plait » est néanmoins le plus Rohmerien, largement supérieur aux autres d’après nous, par l’écriture très tenue (Judith, par exemple, dit « cela » avec conviction et affectation, plutôt que « ça ») la profondeur du sujet, où comment bascule une histoire de vie par la rencontre amoureuse, comment l’amour se décline en différentes formes, comment il bouleverse et questionne ceux qui le ressente.
Ainsi Emilie raconte-t-elle les bouleversements que ressentent Judith et Nicolas :

« Ils ne savaient qu’espérer, que vouloir, ni que penser. Peut-être que tout cela n’était-il qu’une fantaisie qui allait vite s’épuiser avec le temps ? Et si ce n’était qu’un désir de changement ? Une façon de remédier à un ennui inconscient du quotidien ? Et si cela n’était pas de l’amour mais une affinité charnelle, une histoire de phéromones, un phénomène biologique ? Doit-on changer sa vie et tout bousculer autour de soi rien que pour des baisers, et les caresses qui s’en suivent ? Et si ce n’était pas une histoire de baisers et de caresses, mais de complicité extraordinaire ? Et si c’était une très belle histoire d’amour, comme il y en a dans les romans et les films ? ».
France Culture
Pour aller plus loin sur l’univers d’Emmanuel Mouret, on vous propose d’écouter une émission de France Culture qui lui est consacrée.
Fais moi plaisir d'Emmanuel Mouret
Frederique Bel, muse d’Emmanuel Mouret, navigue entre le cinéma d’auteur, les blockbusters et la posture de starlette sexy. Avant d’être découverte dans « La minute blonde » sur Canal +, elle a été comédienne de pubs, mais aussi mannequin lingerie.
LE TURK

On en profite pour découvrir un photographe

En 2020, Frédérique Bel a rempilé pour un calendrier shooté par le photographe Le Turk, dont on aime bien l’univers, et qui réalise lui-même les décors ultra cinématographiques de ses photos, dans un esprit qui compile l’esthétique de Jeunet époque La Cité des enfants perdus, le steam punk d’Hugo Cabret ou de La Ligue des Gentleman extraordinaires, la peinture classique, de Delacroix à Jérome Bosch, et on vous propose de découvrir le monsieur en cliquant sur la photo ci-dessus