Les sorties culturelles du Morbihan

N° 442 - 20 mars 2025

a l'attention des poissons
A l'attention des poissons. Hugues Germain
Michel, docker inventif et farfelu, n’en peut plus de voir les poissons se heurter aux bateaux. Il dĂ©cide de partir en mer sur son radeau de fortune pour informer les poissons des dangers de ce monde grĂące Ă  ses « cartes-cloches-plates », de drĂŽles d’instruments en mĂ©tal. Plongez pour un voyage musical, une immersion poĂ©tique dans les profondeurs sous-marines, Ă  la croisĂ©e des genres. Et si le monde du silence n'Ă©tait pas si muet ? Hughes Germain a parcouru avec ses micros les ports bretons, Ă  l’écoute de leurs sonoritĂ©s. Le monde du dessous devient permĂ©able ! Sur scĂšne, il le donne Ă  entendre, le fait vibrer et immerge le spectateur dans un son en quadriphonie. Il invente un spectacle autour de la relation intime entre les espĂšces du monde vivant et l’attention qu’on peut se porter les uns aux autres pour « s’entendre » en harmonie. [Le teaser ICI]
> Dim 23 mars Ă  17h Ă  L'Estran, Guidel. (Co-organisation avec le Strapontin de Pont-Scorff, et dans le cadre du Festival PĂȘcheurs du Monde). Tarif 5 · 10 €. RĂ©sa : lestran.net ou 02 97 02 97 40
richard III
Richard III - Cie La Poupée qui brûle, Yohann Pencolé
Richard III, c'est l'ascension fulgurante et la chute spectaculaire d'un monstre : Richard de Gloucester. Ce prodigieux tacticien, ce brillant manipulateur excelle dans les luttes d'influence et les jeux de pouvoir : il a toujours un coup d'avance ! Mais une fois tout la haut, devenu Richard III, il est rongé par la folie et la peur. "Le sanglier Blanc" va devoir affronter ses démons, et la révolte qui gronde ! Dans cette adaptation entre récit historique médiéval et scÚnes de combat d'art martial, 23 marionnettes grandeur nature prennent vie. Manipulées par trois danseurs-marionnettistes et mises en mots et en sons par deux narrateurs porteurs de voix (Achille Grimaud, Katia Lutzkanoff), elles font résonner toute la misanthropie de Richard III. Un personnage à (re)découvrir dans ce chef-d'oeuvre intemporel de William Shakespeare, qui n'est pas sans faire écho à l'actualité qui nous préoccupe. [Le teaser ICI]
> Mar 1er avril à 20h au Théùtre du Blavet. Coréal. Strapontin - Théùtre à la Coque - Trio...S

> Et on vous fait gagner des places pour Richard III, en fin de magazine
anna b savage
Anna B Savage "You & I are earth"
Peut-ĂȘtre que vous n'avez jamais Ă©coutĂ© Anna B Savage, et selon la formule consacrĂ©e, on vous envie, parce que ce sera une merveilleuse et Ă©motionnelle claque. Ne croyez pas les archivistes qui la classent dans la folk, parce que, mĂȘme si oui, la guitare pourrait dire folk folk folk, mais non, elle dit Anna Anna Anna, avec une voix unique, grave et haute Ă  la fois, et des mĂ©lodies tellement singuliĂšres. Sur ce troisiĂšme album sorti en janvier (notre prĂ©fĂ©rence reste quand mĂȘme sur "A commun turn" (2020), qui nous remue le ventre et le coeur dans un grand vent d'Ă©motions) le ton est beaucoup plus lumineusement amoureux, on sent le sourire qu'a Anna aux lĂšvres en chantant. Pas besoin de vous en Ă©crire des pages Ă©coutez juste.
[Ecouter ICI You & I are earth]
[Ecouter ICI A common turn]
les serge
On a vu Les Serge (Gainsbourg point barre)
On vous avait promis la semaine derniĂšre de vous dire ce qu'on penserait, alors voilĂ , ce mercredi soir, j’étais donc au Théùtre de Lorient, avec une petite inquiĂ©tude : un spectacle musical par la troupe de la ComĂ©die Française, autour de Gainsbourg ? Est-ce que ça n’allait pas virer au « tribute » ? Et quand ça a dĂ©marrĂ©, l’angoisse est montĂ©e. PremiĂšres notes un peu
 des voix, euh
 Et puis, ma foi. Sympatoche. Je me suis laissĂ©e couler dans cette forme hybride, entre Le grand Ă©chiquier et la Starac. Il restait bien un peu de Gainsbourg dans ces orchestrations, certaines originales, d’autres plus faiblardes, et réécouter – les dĂ©couvrir, peut-ĂȘtre, pour certain·es - ses textes, c’est toujours bon. Alors voilĂ , ça se laisse regarder, personne ne « boude son plaisir » (la salle Ă©tait pleine) et il y a eu de jolies choses – mais comme il peut y avoir de jolies choses Ă  la Starac aussi). Sortant du lot, la version sans musique et en apnĂ©e du chef d’oeuvre de Gainsbourg, « Variations sur Marilou », une variation a cappela en chƓur de « Les sucettes », et une inventive rĂ©invention de « Initials BB ».
Entre les chansons, un collage de citations et d’interviews pris en charge de maniĂšre chorale par les comĂ©diens, fait prendre la sauce et assure le liant. Dans une Ă©vocation de piano bar aux Ă©clairages tamisĂ©s, les comĂ©dien·nes en Zizi blanches Repetto et Levi’s dĂ©lavĂ©s prennent tour Ă  tour le rĂŽle de Serge, et jouent de la guitare, du trombone, de la basse, de la clarinette (joliment) du piano et de la batterie (Bon, on aime bien Benjamin Lavernhe, mais ce n’est pas Stewart Copeland, hein). On sortira du lot Marie Oppert, avec un bien joli brin/grain de voix. VoilĂ  donc un « spectacle fĂ©dĂ©rateur », comme me le disait mon pote Olivier Ă  la sortie. Et oui, ça fait carrĂ©ment le job. En ces temps oĂč la culture devient un sujet vraiment clivant, c’est plutĂŽt chouette.

ISABELLE NIVET

> Jeu 20 mars, ven 21 mars à 20h, Grand théùtre, Lorient
coups de coeur
La Famille Asada
VOST (2022), en mode ciné-club avec présentation et échanges avec les membres de l'équipe.
Un biopic sur une partie de la vie du photographe japonais Mashashi Asada qui a commencé a exercer son talent en mettant en scÚne sa famille avec beaucoup de tendresse et de fantaisie. AprÚs le tsunami de 2011, Mashashi Asada s'engage dans un travail de bénévolat consistant à restaurer les photos trouvées dans les décombres, accompagnant ainsi les familles dans leur travail de deuil et de mémoire. Un film à la fois drÎle et touchant. [Le trailer ICI]
> Jeu 20 mars à 18h15, salle Port-Blanc Océanis Ploemeur. Une Séance de Cin'Echanges
anatopies
Anatopies
Un spectacle transdisciplinaire qui aborde l’anatomie du corps humain sous un aspect sensible.
Ce spectacle sublime la vision de nos organes, nos cellules, nos humeurs sous toutes leurs formes en mĂȘlant les pratiques que sont la peinture, le mapping vidĂ©o, la musique pour en faire une cartographie colorĂ©e et musicale : rendre vibrante chaque partie du corps, proposer de le voir sous d’autres angles, du scientifique au sensible. Ooooohhh... Intriguant, non ? [Des images ICI]
> Ven 21 mars Ă  20h30, Théùtre Ă  la coque, Hennebont. đŸ‘¶ Tout public dĂšs 6 ans
Sansévérino
Sansévérino, en duo guitare et batterie, présentera des morceaux de son dernier album ainsi que des titres de sa longue carriÚre d'artiste populaire. Et comme ça faisait longtemps qu'on ne l'avait pas vu, ça tombe bien ! Attention, c'est au DÎme, mais pas dans leur programmation officielle !
> Ven 21 mars, Le DÎme, Saint-Avé
Week-end théùtre amateur
C'est toujours chouette d'aller voir des spectacles au City, cet ancien cinĂ©ma transformĂ© en théùtre. Vous en profiterez pour nous dire comment sont les travaux de rĂ©novation qui viennent d'ĂȘtre faits !
Samedi 22 mars 15h : Le dernier jour d'un condamné par la Cie Le 4e Mur (56).
Samedi 22 mars 19h : Tous mes rĂȘves partent de Gare d'Austerlitz par la Cie Petites Roches (56).
Dimanche 23 mars 17h : Noires nouvelles par la Cie Nébuleuse (56).
> Sam 22 et dim 23 mars, Le City, Lorient
De l'autre cÎté du ciel
(Japon/2022/1h40). Un film d'animation (en VF) de Yusuke Hirota avec les voix de Philippe Katerine, Masataka Kubota, Fanny Bloc. Lubicchi vit au milieu de grandes cheminées dont l'épaisse fumée recouvre depuis toujours le ciel de la ville. Il aimerait prouver à tous que son pÚre disait vrai et que, par-delà les nuages, il existe des étoiles. Un soir, le petit ramoneur rencontre Poupelle, une étrange créature avec qui il décide de partir à la découverte du ciel. [Le trailer ICI]
(Bon, on vient de s'apercevoir qu'on l'avait mis deux fois dans les sélections...)
> Sam 22 mars Ă  16h, La Balise, Lorient. ( đŸ‘¶ A partir de 5 ans ) cinĂ©pourtous.fr
AprÚs "Géraldine en transition", Géraldine Berry revient avec une nouvelle chronique. Au programme, trois, quatre ou cinq idées sur des choses engagées, militantes, citoyennes, et culture !

Révolution à vélo, cinoche, sciences participatives, engagement féministe et concert foufou, une nouvelle semaine au pays de Lorient.

🟡 Venez faire la VĂ©lorution samedi 22 mars Ă  partir de 14h ! Comme une manif mais Ă  vĂ©lo pour rĂ©clamer de meilleurs amĂ©nagements afin de circuler de maniĂšre sĂ»re. Rendez-vous place de l’Yser pour un parcours de 11 km Ă  travers Lorient. ArrivĂ©e Ă  15h45 place Polig Monjarret, Ă  l’heure de l’apĂ©ro, ou presque. OrganisĂ© par le CLAAV (Collectif Lorient Agglo À VĂ©lo).

🟡 Un petit film pour enfants Ă  partir de 5 ans Ă  La Balise, ce samedi 22 mars Ă  16h : “De l’autre cĂŽtĂ© du ciel”, fable Ă©cologique de Yusuke Hirota, Ă  l’initiative de CinĂ© pour tous. 2 € par personne.

🟡 Samedi 22 mars, de 16h Ă  18h, c’est la rĂ©union mensuelle de Nous toutes Lorient, le mouvement de lutte contre les violences de genre. Les rencontrer pour mieux les rejoindre ! Ça se passe Ă  La Commune O’ThĂ©, 20 rue Victor MassĂ© (encore un nouveau lieu dis donc, un Manga CafĂ© d’ailleurs). Info : noustouteslorient56@protonmail.com

🟡 C’est super complet mais sait-on jamais, une chance de derniĂšre minute
 Didier Super, Gogol Premier et Bonheurs inutiles Ă  La Loco Ă  QuimperlĂ© samedi 22 Ă  partir de 20h : la promesse d’une soirĂ©e dĂ©jantĂ©e. J’ai achetĂ© ma place depuis bieeeeen longtemps.

🟡 Surfrider Morbihan et West Surf Association vous invitent Ă  une Initiative OcĂ©ane le dimanche 23 mars Ă  10h Ă  Guidel-Plages. Plus qu’un simple ramassage de dĂ©chets, c’est une science participative car l’idĂ©e est de comptabiliser et rĂ©pertorier les dĂ©chets pour nourrir la base de donnĂ©es scientifique de Surfrider. Et voilĂ  comment, Ă  terme, on propose des rĂ©gulations plus strictes sur certains produits, quand on constate qu’on les retrouve plus que d’autres dans les ocĂ©ans, comme rĂ©cemment sur les plastiques Ă  usage unique. Rendez-vous sur le parking de la WSA, ils vont vous expliquer ça dans le dĂ©tail.

> Souvent quand je bouge, je fais des story sur Instagram : @geraldineberry_lorient
catherine fontaine
Catherine Fontaine
La semaine derniĂšre, j’ai rencontrĂ© Catherine Fontaine. Une artiste lorientaise sur laquelle j’ai dĂ©jĂ  Ă©crit, lors de son exposition Ă  la Galerie du FaouĂ«dic, il y a quelques annĂ©es. J’ai retrouvĂ© avec plaisir cette artiste dĂ©licate et passionnĂ©e, qui parle avec grĂące et finesse de son travail. Et je dois avouer quelque chose, avant de commencer cet article : bien que, Ă©motionnellement, je ne me connecte pas Ă  son travail, je le trouve beau, dĂ©licat, recherchĂ©, prĂ©cieux, patient et passionnant. Je n’avoue pas cela pour en minorer la valeur, ni parce que j’estimerais pertinent de dire ce que j’aime ou pas, non, je le dis parce que les plus perspicaces d’entre vous le sentent, quand le dithyrambe dĂ©borde moins, et m’en font parfois le retour.
Je l’ai souvent remarquĂ© : ĂȘtre moins touchĂ©e Ă©motionnellement permet parfois de prendre davantage de recul, d’analyser avec plus de prĂ©cision le travail. Et se pencher sur le travail de Catherine Fontaine prend du temps, s’en approcher de trĂšs prĂšs, dĂ©couvrir un mĂ©lange de dĂ©licatesse et de force. L’exposition porte le titre « D’un geste lĂ©ger », et se dĂ©coupe en quatre sĂ©ries, ou mĂ©diums : du dessin pur, du textile, de la cĂ©ramique, et des piĂšces hybrides autour de la peinture.
Cette notion de geste est la plus lisible dans la sĂ©rie des dessins de montagne (Queyras, Maurienne, PyrĂ©nĂ©es
), celle qui me touche le plus par son Ă©conomie de moyens, ces tracĂ©s lĂąchĂ©s, ces silhouettes esquissĂ©es avec lĂ©gĂšretĂ© « Ce sont des dessins d’un geste, pour saisir quelque chose de trĂšs rapide. J’ai toujours un carton Ă  dessin dans mon sac Ă  dos. Il m’est arrivĂ© de faire des lavis avec l’eau d’un lac de montagne, mais la plupart du temps, je pose la couleur aprĂšs, de mĂ©moire. J’ai une grande mĂ©moire des nuances de couleur dans les paysages : un champ givrĂ© dans la lumiĂšre du matin, un bois de mĂ©lĂšzes Ă  l’automne dans le Queyras ; les couleurs s’incrustent dans ma tĂȘte, je peux les travailler longtemps aprĂšs. J’aime la dĂ©cantation. Je travaille la sensation, pas la description. Je mets le rĂ©alisme Ă  distance ». Ses sommets sont comme une Ă©criture poĂ©tique, esquissĂ©s au graphite. Ses empreintes de roche, prises en posant son papier de soie sur la pierre et frottant la mine dessus donnent Ă  voir la matiĂšre. Alternent ainsi le lointain et le proche.
Dans les piĂšces hybrides – pensĂ©es pour le lieu - se mĂȘlent l’aquarelle, les empreintes de roches et l’ajout d’une sorte de maillage-bijou, entre l’enluminure et le kintsugi, cette merveilleuse technique japonaise de « rĂ©paration prĂ©cieuse » de piĂšces en cĂ©ramique. DiffĂ©rentes strates de travail qui arrivent par la maturation « La phase la plus complexe, c’est l’aquarelle. Trouver l’équilibre entre les jus superposĂ©s. Puis je pose des laques japonaises Urushi que je saupoudre de poudre argent, or, Ă©tain
 C’est la mĂȘme technique que sur les boĂźtes laquĂ©es au Japon, la mĂȘme technique que j’utilise sur la porcelaine ». Mais sur de l’aquarelle, Ă  plat. Le rĂ©sultat, des idĂ©es de paysages puissants, Ă  la frontiĂšre des arts dĂ©coratifs.
Les cĂ©ramiques, Catherine Fontaine m’en avait dĂ©jĂ  parlĂ©, mais j’avais oubliĂ© leur histoire et leur technique, si bien que lorsqu’elle a commencĂ© Ă  l’évoquer, j’ai cru deviner une analogie avec l’univers de l’autrice Marie-HĂ©lĂšne Lafon, alors qu’en fait, c’était une rĂ©miniscence de notre conversation de l’époque ! Les deux artistes partagent un rapport au paysage commun, et Marie-HĂ©lĂšne Lafon fait partie des amis de Catherine Fontaine qui lui envoient rĂ©guliĂšrement des plantes ou des herbes Ă  brĂ»ler lors de la cuisson de ses cĂ©ramiques : « Je travaille beaucoup avec des Ă©maux que je fabrique Ă  partir de cendres vĂ©gĂ©tales ». Des essais. Coquelicot, agave, herbes de prairie. Ces Ă©maux de cendres vĂ©gĂ©tales cĂŽtoient la porcelaine, la terre, les oxydes : « J’y cherche une dimension picturale. Je dessine avec la matiĂšre, avec la surprise. La non-maĂźtrise est importante : je peux prĂ©voir mais c’est toujours surprenant ». La cuisson des piĂšces relĂšve, elle, d’un presque cĂ©rĂ©monial : si Catherine Fontaine dispose en Bretagne de fours Ă  gaz ou Ă©lectrique, elle traverse rĂ©guliĂšrement la France pour rejoindre notamment le Centre de cĂ©ramique contemporaine de La Borne, proche de Bourges : « Ces fours sont trĂšs grands, on y entre pour y installer les piĂšces, puis on s’y relaie pour entretenir la cuisson pendant une semaine. C’est le feu qui crĂ©e la piĂšce et lui donne un cĂŽtĂ© vivant et sauvage, tellurique ».
> Jusqu’au 26 avril, Improbable Jardin, 26 rue du MarĂ©chal Foch, Lorient
belin
La Figure, Bertrand Belin
Les Dominic.que, libraires de Lorient à Port-Louis, ont accueilli ce week-end La Figure et son auteur Bertrand Belin. Dans ses chaussures trop fines, l'homme abandonne un temps sa veste sur un tas de livres, s'effeuillant ainsi de cette peau tissée pour se dévoiler un peu, un temps, à son public absorbé. Cela ne lui appartient pas, mais la forme poétique, forcément, éclabousse le lecteur qui, comme un acteur, se saisirait d'un linge pour éponger doucement sa joue atteinte d'une fraßche projection. L'écriture de Belin demande de l'attention, une attention qui intime à prendre soin des mots de l'auteur. L'élégante poïétique* du récit de Belin invite le lecteur à une certaine délicatesse.
Ce qui remonte du passé n'a pas toujours une saveur de madeleine. Le fer de sang retenu dans la bouche sous la coupe des réminiscences attendrait là patiemment de requérir un certain sens. Ce goût de l'acier tapi entre les dents témoigne d'une réalité. Bertrand Belin plonge en apnée dans un monologue intérieur, quitte à boire le calice jusqu'à la lie. Ivre des profondeurs, le ressac des souvenirs se reforme inlassablement. Il écume des jours passés et jamais il ne tarit.
Les traces du passé à l'ombre d'un laurier se teintent chaque fois un peu différemment sous le pinceau coloré d'un présent. L'arriÚre-goût se diluerait-il un peu dans l'aqueux d'un nouveau récit ? Pas sûr, mais pieds nus dans le sable, Belin semble s'approcher de l'eau, revenir sur la plage, pour mieux s'approcher à nouveau.
Il en Ă©change avec ce qu'il nomme la Figure. Il se dissocie peut-ĂȘtre pour mieux se figurer, se rendre Ă  lui mĂȘme sa forme, qui sait ? Cette Figure, ce double, comme un poil Ă  gratter, sans cesse et tour Ă  tour, le trouble, l'apaise, le remue, l'enveloppe. La Figure se plante lĂ  aussi, sans doute un peu comme un rempart entre le for intĂ©rieur et l'extĂ©rieur.
Dans le roman, Belin se poste avec la Figure en observateur, pour voir sans ĂȘtre vu, sur les marches, Ă  l'ombre du laurier, Ă  l'abri. Il regarde la mĂšre, celle qui s'agite sous la pression, celle qui se presse sous l'oppression. Elle marche "au pas de course". Les coups ont un prix : parfois le prix d'une vie. Bertrand Belin observe discrĂštement le crĂ©pitement du sang qui afflue Ă  la frontiĂšre de la paupiĂšre, sous l'Ă©piderme de celle qui n'a pas eu de veine.
Bertrand Belin, BB, bĂ©bĂ© de trois mois, a dĂ» fuir la langue des flammes incendiaires, et faire face au vent des hivers quiberonnais avec pour seule peau une toile de tente Ă©rigĂ©e sous l'Ă©gide maltraitante du chef de famille. Ainsi soufflĂ© par le chaud et le froid, du haut de ses trois premiĂšres annĂ©es de vie, il dĂ©cide dans ce livre de ne pas monter dans cet appartement social qui ne connait que trop bien l'odeur du cuir acĂ©rĂ© de la ceinture paternelle. Avec un regard d'adulte l'enfant peut réécrire l'histoire, revisiter les fragments, "tourner autour d'un point nodal" qui brĂ»le encore si l'on embrasse de trop prĂȘt le brasier. Il s'agit peut-ĂȘtre nĂ©anmoins de battre le goĂ»t du fer tant qu'il est encore chaud. "La fin des fins n'est pas pour demain" dit Belin. L'incipit "On a tranchĂ© le cou d'une oie", rĂ©vĂšle un corps qui poursuit encore un temps sa course effrĂ©nĂ©e, pendant qu'une tĂȘte dissociĂ©e de ce corps continue de cacarder sur un tourniquet. Cette scĂšne un peu folle se campe comme mĂ©taphore de la phrase de Becket "Il faut continuer, je ne peux pas continuer, je vais continuer". Belin pourrait, du point de vue de l'animal qu'il a Ă©tĂ©, apposer Ă  cet aphorisme, " je oie continuer".
Éditions P.O.L, 175p, 18e.

MORGANE THOMAS

* poiĂ©tique, adjectif (grec poiĂȘtikos) : Se dit, chez Aristote, de ce qui est Ă  l'Ɠuvre dans l'activitĂ© artisanale de celui qui produit un objet matĂ©riel, par opposition Ă  thĂ©orĂ©tique. (DĂ©finition Larousse)
richard 3
Envoyez-nous un mail à cestparla@sortiesdesecours.com pour tenter de gagner des places (n'oubliez pas de nous donner votre numéro de téléphone). Cette semaine vous jouez pour

Richard III - Cie La Poupée qui brûle, Yohann Pencolé
Richard III, c'est l'ascension fulgurante et la chute spectaculaire d'un monstre : Richard de Gloucester. Dans cette adaptation entre récit historique médiéval et scÚnes de combat d'art martial, 23 marionnettes grandeur nature prennent vie. Manipulées par trois danseurs-marionnettistes et mises en mots et en sons par deux narrateurs porteurs de voix (Achille Grimaud, Katia Lutzkanoff), elles font résonner toute la misanthropie de Richard III.
> Mar 1er avril à 20h au Théùtre du Blavet. Inzinzac-Lochrist

AMZER NEVEZ. EPISODE 3

Précédemment dans "Amzer Nevez, c'est fini"
AprĂšs une annonce faite trop vite (par nous) dans l'Ă©pisode 1, puis un correctif pour dire qu'on avait fait trop vite et pardon dans l'Ă©pisode 2, nous venons de recevoir un communiquĂ© officiel du conseil d’administration dans l'Ă©pisode 3. On vous en publie des extraits.

"Amzer Nevez a vu le jour en 1981 dans la dynamique de la charte culturelle de 1977. D'abord
conservatoire régional pour les musiques traditionnelles, l'association a évolué pour devenir un
centre culturel et une scÚne de territoire dédiée aux musiques traditionnelles de création. Amzer
Nevez a toujours incarné un lieu de transmission, de création et de rencontre, jouant un rÎle
essentiel dans le paysage culturel en Bretagne. L’association s’est engagĂ©e au service des
musiques et danses traditionnelles, des langues de Bretagne, des artistes, des personnes et des
associations culturelles du territoire.

La gouvernance associative a l’immense regret de vous informer que l’association Amzer Nevez,
sous procédure judiciaire depuis décembre, devra cesser ses activités dans les semaines à venir (...)
En dépit du soutien des collectivités, la situation de cessation de paiement est présente et le passif comptable demeure insurmontable, amplifié par la conjoncture économique difficile du secteur associatif (...)

Nous savons que les liens et les solidaritĂ©s tissĂ©s autour d’Amzer Nevez permettront d’imaginer
des perspectives nouvelles pour les expressions culturelles bretonnes et celtiques. Nous
souhaitons que le soutien aux musiques traditionnelles de création puisse se manifester à
nouveau dans un cadre propice et apaisé."

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