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Blé noir

Quand on finit une chronique par « Mais c’est un autre sujet », le risque c’est qu’on nous demande de le développer. Erreur donc dans ma précédente chronique ou acte manqué ? Bref, ce mois-ci dans Sorties de Secours, les monnaies complémentaires locales ne sont pas un autre sujet.

Si vous vivez du côté de Lorient/Quimperlé, votre regard a peut-être croisé un panonceau « Ici on accepte le Segal » au marché, au resto ou en boutique. Le Segal ? Le terme n’est pas choisi au hasard, les bretonnants auront bien traduit segal par seigle – ainsi Bara Segal c’est du pain de seigle – et les bretonnants + + auront même traduit par blé au sens de fric, ce qui nous donne un certain indice. Le Segal est en effet ce que l’on appelle une monnaie complémentaire locale, comme il en existe un certain nombre en France, entre 80 et 100 selon les sources.

Ces monnaies sont la plupart du temps imaginées, créées et portées par des associations**. À l’heure où nous payons un pain au chocolat sans contact, au moment où on nous incite à rembourser nos amis par smartphone interposé et où les pièces disparaissent doucement de nos poches – et ça ne nous aide pas à être généreux dans la rue quand on nous tend la main – cela peut sembler aberrant de voir de nouveaux billets apparaître dans notre porte-monnaie… Pourquoi, comment ? Enfin surtout pourquoi et ensuite comment ?

R-E-L-O-C-A-L-I-S-E-R
Par définition, une monnaie locale est locale, et c’est toute la différence. Impossible de payer sur le site d’Amaz#?*?$*% en Segal. L’objet d’une monnaie locale est bien de relocaliser nos achats, de soutenir une économie locale. Ce n’est pas anodin, car acheter local, c’est créer de l’emploi et c’est souvent réduire les transports de produits. Le circuit court dans toute sa splendeur, qui dit non au virtuel et à la disparition des petits commerçants. Concrètement donc, on change ses euros en monnaie locale (1 Segal ou n’importe quelle unité de base d’une monnaie locale en France égale toujours un euro) et on consomme avec. OK. Dit comme ça, ça donne un peu l’impression de jouer à la marchande et on n’y voit pas bien l’intérêt, sauf à devoir se rajouter une contrainte. Or c’est là que ça devient intéressant.

Déjà, il faut savoir que, en tant que particulier, quand vous changez 100 euros en 100 Segal, vous ne pouvez plus faire machine arrière. Donc vous voilà obligés de les dépenser en local. Mince, je voulais acheter un livre sur internet et je n’ai plus trop de sous sur mon compte, mais oh, surprise j’ai retrouvé 20 Segal dans mon porte-monnaie ! Eh bien, je vais dans la librairie de mon quartier qui prend le Segal… C’est un exemple bien sûr, mais vous voyez l’idée.

Et le changeur qui vous a donné 100 Segal, il en fait quoi des 100 euros qu’il a récupérés ? C’est là que ça continue à être intéressant. La plupart du temps, et c’est le cas pour notre Segal à Lorient et alentours, les monnaies locales s’adossent sur une banque coopérative de financement éthique. Donc mes 100 euros, ils sont éthiquement épargnés, pas de spéculation, et ils deviennent donc une sorte de trésorerie pour financer des projets aussi beaux que locaux. (C’est là qu’il faut encore relire ma chronique sur les banques ici).

Si vous êtes professionnel et que vous avez la tentation d’accepter le Segal dans votre boutique, vous pouvez vous dire que vous allez vous retrouver avec un gros volume de Segal et que vous ne pourrez pas en faire grand-chose… Sachez que vous, les pros, vous avez la possibilité de retransformer vos Segal en euros. Mais vous pourriez très bien payer un peu de vos salariés qui seraient d’accord en Segal, et eux-mêmes achèteraient local…

ÉDIFIANT
Le Segal existe depuis quelques années dans le pays de Lorient. Il y a aujourd’hui 160 partenaires qui l’acceptent, d’Arzano à Sainte-Hélène en passant par Priziac ou Moëlan-sur-Mer, (répertoriés ici), avec des activités aussi variées que l’alimentaire, le paramédical, un club de basket (on peut payer sa cotisation, si, si), des coiffeurs, des cafés etc. Il y aurait environ 20 000 Segal (donc euros) qui circulent. Cela semble peu, mais ça ne demande qu’à se développer. Au Pays basque par exemple, ce sont près de 2 millions d’Eusko en circulation à la mi-2020, avec plus de 3800 adhérents particuliers et plus de 1000 professionnels. Le cercle est vertueux, puisque les professionnels sont davantage tentés de dépenser leur argent vers d’autres pros qui acceptent l’eusko, et ainsi de suite. Ce sont donc 84% des professionnels qui ne reconvertissent jamais leurs eusko en euros. Et parce qu’on est modernes au Pays basque, l’association qui gère l’eusko a aussi créé son appli, qui va permettre de payer virtuellement, mais en eusko.

 

Comment ça marche ?

  • Trouver sa monnaie locale ici. Le site n’est pas complètement à jour mais on y trouve quand même pas mal d’infos et des liens, où que l’on soit en France.
  • Pour notre Segal, on se rend sur segal.bzh pour savoir où on peut acheter en Segal sur le pays de Lorient/Quimperlé. On y trouvera aussi des infos indispensables sur les comptoirs où changer ses euros en Segal (et vice-versa).
  • Pour utiliser le Segal, il faut adhérer à l’association Blé noir. Il en coûtera 10 euros à un particulier et 20 à un professionnel. Et oui, il faut bien financer la planche à billets !
  • Il existe des billets de 0,50, 1, 2, 5, 10 et 20 Segal. Bien sûr, vous pouvez mixer et compléter vos achats avec des centimes et des euros !

 

* Blé noir est sûrement le meilleur titre possible pour cette chronique. C’est aussi le nom de l’association qui a créé le Segal en pays de Lorient. 

** BONUS MAGIE DE NOËL : La création et la mise en circulation d’une monnaie locale est la plupart du temps à l’initiative d’une association mais les collectivités peuvent aussi s’en emparer. C’est ce qu’a fait la mairie de Capestang, 3133 habitants, dans l’Hérault. La municipalité a débloqué 80 000 euros – des économies faites pendant le premier confinement – et a distribué cinq jetons d’une valeur de 10 euros à chaque foyer de la commune. La condition : les dépenser dans la commune. Une façon de soutenir à la fois les habitants et les commerçants.

Géraldine Berry. Novembre 2020
IG @geraldineberry_lorient
Imparfaite, incomplète mais engagée, j’essaye de participer au jour le jour à une société plus verte, persuadée qu’une goutte d’eau dans la mer, c’est déjà ça.

Parce que la coopérative Biocoop Les 7 épis est une entreprise engagée et militante, elle qui finance cette chronique et nous permet d’offrir une rubrique orientée solutions, dans l’objectif de donner des clefs pour agir…

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