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Daniel Challe. Keroman / Mécanique Générale

Par Isabelle Nivet

Le photographe lorientais Daniel Challe a passé deux ans à caresser Keroman du regard, absorbant son essence et ce qui serait bientôt souvenir... Le port de Lorient se révèle entre vision d'artiste et documentaire, un regard que Daniel a partagé avec nous, lors d'une balade accompagnée par les cris des mouettes...

Jour gris de novembre. Une brume humide enveloppe l’avenue de la Perrière, tandis que dans les pas de Daniel, nous trottinons, un enregistreur à la main. On s’est dit que plutôt que se retrouver devant des cimaises, on serait mieux à sentir, ressentir, humer le port tous les deux, et enregistrer ça. On a donné l’enregistrement à Radio Balises, ça leur a plu, ils l’ont diffusé les 15 et 16 novembre.

Ecouter le son dans "Ecoute ce que j'entends" ici : https://radiobalises.com/music/daniel-challe-keroman-mecanique-generale-expo/


 

On démarre par la rue Henri Estier, l’endroit où tout a commencé pour cette série de photos, où pelleteuses et camions s’affairent à déblayer les gravats de ce qui a donné son titre à l’exposition « Keroman mécanique générale ». Disparue la façade de cet ancien atelier de réparation mécanique « une magnifique typo que j’ai photographiée en 2016. Ici, ça correspond tout à fait à cette idée de mon travail : un lieu en perpétuelle mutation, avec des choses anciennes qui sont détruites, et que la photographie va conserver, et des choses nouvelles, qui vont apparaître. Le titre évoque ce mouvement, comme une roue qui tourne sans cesse ».

Un camion nous chasse, nous abordons l’entrée du port de pêche tandis que la petite pluie fine vient nous poudrer le nez et les cheveux, on traverse en direction des quais, Daniel nous fait remarquer les lignes, la géométrie des lieux, les couleurs des sécantes, les détails graphiques, le ballet des ouvriers comme des Playmobils casqués, presque du time-lapse. On cherche à entrer dans la criée, on essaye une porte, une autre. Tout est fermé jusqu’à ce que l’une d’entre elles s’ouvre. Les néons faiblards donnent une ambiance étrange, les flaques laissées par le nettoyage à haute pression renvoient leur lueur crépusculaire, les tapis roulants strient l’espace comme des sabres de métal, le bitume noir brillant parachève le tableau de ce labo clinique. Nous faisons face aux sièges de plastoc orange où s’assoient les acheteurs : « La criée est vivante tôt le matin, vers 4 ou 5 heures. Je suis venu ici avec ma chambre (un dispositif de photographie argentique très volumineux, ndlr) j’avais installé mon pied, il y avait tous les mareyeurs, qui étaient devant moi, avec les caisses à poissons et crustacés qui passent sur ces rails. J’ai fait une première photo et quand je l’ai développée je me suis aperçu qu’elle était complètement floue, parce que je n’ai pas la souplesse de la photographie numérique, en terme de sensibilité, donc j’ai dû revenir avec des grosses boîtes à lumière et je me suis installé face à ces hommes et ces femmes. Avec une chambre, je ne passe pas inaperçu, ça a permis de me faire connaître des gens, et quand je travaillais, on me reconnaissait».

On ressort, la porte claque, les mouettes, les grues, l’eau sombre, notre regard traverse le bassin pour se poser sur le K3, massif et puissant, il ne manque plus qu’une berline aux vitres fumées pour parfaire l’ambiance polar. « La base de sous-marins j’ai pu monter sur son toit et faire des vues générales qui nous permettent d’avoir un point de vue sur Keroman, et de bien lire la manière dont les nouveaux blocs d’architecture contemporains sont insérés au milieu. Ce sont des lieux que j’ai fréquenté un à un. J’ai beaucoup travaillé dans le K2, c’est là qu’il y a les entreprises de construction navale. J’y ai fait des portraits de gens au travail. Ce sont des lieux qui sont très beaux ».

On repique le micro à Daniel pour lui demander quel a été son parti pris artistique, s’il y a une notion de série, une identité spécifique : « L’outil en lui même, la chambre, force à penser des cadrages précis... La lenteur aussi, le fait de travailler sur la durée, c’est presque deux années de travail pour 400 photos, donc ça donne un peu la dimension, par rapport à un téléphone portable ! Dans un lieu comme ça, huit heures de travail, c’est dix photos, pas plus. J’ai travaillé au départ de manière intuitive, en m’imprégnant des lieux, puis ça s’est construit... Il y a quatre grandes séries : les paysages, les vues topographiques, un peu larges, qui décrivent le lieu ; les architectures et les intérieurs, plus proches ; les portraits posés de gens au travail, et puis les natures mortes, objets, machines, détails. Petit à petit le parti pris ça a été un photographe qui travaille sur le travail, le travail industriel. Moi j’inscris ça dans ce que j’appelle la photo documentaire, mais c’est une photographie artistique, puisque par le cadre, les couleurs, la composition, il y a beaucoup de rapport à des peintres, des photographes, des cinéastes, qui sont importants pour moi, dans mon imaginaire... »

> Compléter la lecture avec des images qui bougent, sur le site de nos copains de KuB, webmédia breton...

 

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