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Le Misanthrope. On se lève tous pour Dana

Le Misanthrope, on vous en dit tout le bien qu’on a pensé de cette adaptation du grand classique de Molière par Dana et sa tribu.
Les Possédés, aujourd’hui renommés Collectif du Théâtre de Lorient – oui, ce nom est triste comme un dimanche pluvieux de janvier en ex RDA – Les Possédés, donc, possèdent une arme fatale, la potacherie, l’irrespect, le grand coup de pompe dans ce qui se fait au théâtre, la marrade adolescente. La pièce est  ponctuée de saynètes burlesques, très dessinées par les costumes hyper créatifs, les attitudes finement prises en charge par les corps, et la bande son – ahhh, la bande son à elle seule vaut le détour, de Michel Legrand à Queen – qui font de ce spectacle à la fois un grand éclat de rire, un hommage intelligent à Molière, et une réflexion sur la vie en société et les rapports humains.
Il aura fallu attendre Molière pour retrouver l’enthousiasme ressenti avec « Merlin ou la terre dévastée », en 2011.  Dana a beaucoup insisté sur le travail de l’alexandrin sans jamais l’avoir rendu quotidien ou trivial, et c’est la première chose qui saute aux yeux : le brio avec lequel les comédiens ont digéré la musique des vers, à tel point que l’on entend nulle préciosité. L’oreille ne bute jamais sur le comptage des pieds, en revanche, elle entend la poésie, et prend de plein fouet la force, l’acidité, et la justesse de la langue de Molière, qui balance pas mal à Paris.

Célimène. L’amoureuse de l’amour.
Rarement on aura entendu aussi bien ce classique, grâce à la justesse des comédiens qui se sont totalement extraits de cette hypnotisante musique, pour avant tout traverser des émotions. Une prise en charge amplifiée par un travail de corps très étudié, très écrit. Ainsi postures des pieds, des corps, place des mains, tenue des bras, touchers, contacts, caresses, sont-ils très finement utilisés pour raconter les relations des personnages : et quelle joie, quelle émotion, de découvrir une Célimène vraiment amoureuse (Emilie Lafarge), pendue au cou d’un Alceste bredouillant de l’émotion de sentir sa belle lui roucouler dans les bras, se hisser sur la pointe des pieds pour l’embrasser avec fougue. Là, on y croit, on y est, ça fonctionne à bloc.

Alceste et Philinte. L’amitié
Sans doute l’une des plus réussies, la relation qui les unit, car sortant des caricatures habituelles de ces personnages souvent très outranciers. Ici, deux amis se renvoient leurs points de vue sur la sincérité opposée à la mondanité sans tirer la couverture à eux ni surjouer les caractères. De la subtilité, encore. Une subtilité que l’on retrouve même dans les passages les plus appuyés, même quand les personnages partent en vrille, déjantés comme dans un Lewis Carrol, il y a justesse, il y a sens, il y ambivalence : noirceur et burlesque, c’est l’équilibre parfait.

Alceste. La peur d’aimer
Le Misanthrope,  joué par Dana lui même, qui s’empare du personnage avec finesse, osant en faire un amoureux ridicule, mais aussi un homme de paradoxes, profondément humain. Un travail d’orfèvre a été fait sur les personnages, décortiqués, analysés, compris par les comédiens, ce qui leur permet d’intégrer l’alexandrin dans le jeu sans se faire balader par la musique hypnotique des vers, avec la vertu de nous faire entendre le propos avec une clarté rarement égalée.

Philinte. Le paradoxe.
Sans doute la première fois que les paradoxes de Philinte sont si bien montrés. Oui, voila un homme qui aime le monde, la légèreté, l’humour, la fête, mais qui n’est pas pour autant un petit papillon futile et prétentieux. C’est Maxence Tual, des Chiens de Navarre, qui tient le rôle avec une composition vraiment originale.

Le résultat ?
Grâce aux lumières très vivantes, grâce aux costumes – magnifiques, délirants et très drôles – grâce au rythme très tonique, grâce aux saynètes burlesques (le sonnet d’Oronte version rock avec sampleur est une merveille), grâce à la musique intelligemment intégrée (hahaha : faire chanter la tirade d’Éliante sur l’air des « Moulins de mon cœur » de Michel Legrand), c’est qu’on est dans les starting blocks tout le temps. Ça déménage, ça envoie du bois, on rit énormément à ce que racontent les corps, tandis qu’on gronde intérieurement de la noirceur du propos, un vrai travail d’équilibriste.

ISABELLE NIVET, OCT 18

 

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