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COP21

Dix ans après l’Accord de Paris, les efforts de la Bretagne face à l’inertie mondiale

Dix ans après l’Accord de Paris, signé lors de la Cop 21, la Bretagne multiplie les initiatives pour la transition énergétique : panneaux solaires, rénovation de logements, gaz verts… Mais pendant que la région s’évertue à atteindre ses objectifs climatiques, le monde accélère dans le mur. Entre les promesses non tenues des États et la multiplication des catastrophes climatiques, le thermomètre a franchi la barre des +1,5°C en 2024.

Pour la première fois, durant l’été 2024, j’ai dû arroser ma coriandre vietnamienne trois semaines d’affilée. C’était ça où je n’avais plus de persicaria odorata à mettre dans mes salades ou mon poulet sauté. Bienvenue dans la Bretagne de l’Accord de Paris, où l’on célèbre le dixième anniversaire d’une promesse climatique en regardant le thermomètre afficher +1,5°C. À Rostrenen, entre 1955 et 2016, la température moyenne a augmenté de 1,86°C. Ma coriandre, elle ne négocie pas avec les courbes du GIEC.

Le 12 décembre 2015, Laurent Fabius abattait son marteau à la fin de la Cop 21. « Notre responsabilité est historique », clamait-il. Dix ans plus tard, les responsables sont toujours là, mais la responsabilité s’est un peu diluée dans les méandres du multilatéralisme. Nous étions « la dernière génération à pouvoir agir ». Apparemment, nous avons décidé d’agir… mais tout doucement, pour ne froisser personne.

En Bretagne, pourtant, on ne rigole pas avec la transition. La région affiche fièrement ses 84 % d’énergies renouvelables dans sa production énergétique en 2021 (Bon, ne nous emballons pas, cela ne représente que 19 % de la consommation régionale !). Elle vise une multiplication par six de sa production photovoltaïque d’ici 2030. Les 115 lycées régionaux doivent réduire leurs consommations de 60 % d’ici 2050 – espérons que les élèves de terminale 2050 apprécieront nos efforts tardifs.

Quarante projets citoyens d’énergies renouvelables bourgeonnent sur le territoire. GRDF Bretagne, dans un élan d’optimisme touchant, vise même 25 % de gaz vert dans ses réseaux en 2030, dépassant l’objectif national de 20 %. À Cléguérec, François Guérin et son entreprise SeeYouSun installent des ombrières photovoltaïques qui permettent aux boulistes de jouer toute l’année. La transition énergétique, c’est aussi ça : pouvoir pointer sous les panneaux solaires.

Tout cela est admirable. Vraiment. Sauf que pendant que la Bretagne pédale vaillamment vers ses objectifs, le monde, lui, accélère en direction du mur. Les émissions mondiales de CO2 ont progressé de 1,3 % entre 2022 et 2023. La concentration de dioxyde de carbone dans l’atmosphère a enregistré en 2024 « sa plus forte hausse depuis le début des mesures modernes, en 1957 ». L’Accord de Paris prévoyait une baisse de 42 % des émissions d’ici 2030 pour limiter le réchauffement à 1,5°C. Avec les engagements actuels, on table sur… 4 % de réduction. Bravo les champions.

Le juriste peut arguer que « l’Accord de Paris fait du climat la question centrale à laquelle sont adossées toutes les autres ». Sur le terrain, les « contributions déterminées au niveau national » – ces fameux plans volontaires révisés tous les cinq ans – ressemblent surtout à des vœux pieux griffonnés sur des post-it, certes « juridiquement contraignantes », mais dans les faits, impossible de contraindre un État à respecter ses engagements. Donald Trump l’a bien compris : il a quitté l’Accord de Paris le jour de sa réinvestiture en 2025, histoire de souffler la dixième bougie avec panache.

Pourtant, « le monde est incontestablement meilleur avec l’Accord de Paris que sans », tranche Gerhard Krinner, chercheur au CNRS. « Avec l’accord, on est actuellement sur une trajectoire de +3°C en 2100. Sans, on serait à +4 ou +5°C. » Autrement dit, notre récompense pour dix ans d’efforts, c’est d’avoir limité la catastrophe. Nous ne sauvons pas le monde, nous négocions les modalités du naufrage. À la COP28 de Dubaï – tenue dans un État pétrolier, parce que l’ironie n’a plus de limites – les petits États insulaires réclamaient une sortie rapide des énergies fossiles. Les pays producteurs ont obtenu « une formulation moins claire ». Traduction : on continue de creuser.

Jean Foyer, anthropologue, le résume avec une lucidité glaçante : « On peut voir les COP avec cynisme, mais l’autre solution c’est la guerre de tous contre tous. » Voilà où nous en sommes : nous célébrons le fait que les États continuent de se parler, même s’ils ne font rien. L’Accord de Paris est devenu « un bien commun très précieux dans le contexte géopolitique actuel » non pas parce qu’il fonctionne, mais parce qu’au moins, il existe.

Pendant ce temps, en Bretagne, on s’adapte.

Le niveau de la mer a gagné 35 centimètres en trois siècles à Brest.

On a perdu entre deux et quatre jours de gel par an entre mars et avril.

Les épisodes de sécheresse se multiplient.

La Région a lancé sa stratégie « BreizhHin » (« Hin » signifie climat en breton), et un réseau de 200 personnes s’active pour l’adaptation au réchauffement climatique. On plante des haies. On restaure des zones humides. On sensibilise les élus. On installe des panneaux solaires. On rénove 45 000 logements par an. On forme des conseillers Rénov’Habitat.

C’est beau, c’est concret, c’est local.

Mais pendant qu’on pédale, les océans se réchauffent « plus vite que prévu par les modèles », la forêt amazonienne dépérit, les récifs coralliens meurent.

Dans ce contexte, célébrer le dixième anniversaire de l’Accord de Paris, c’est un peu comme fêter dix ans de régime en commandant un gâteau au chocolat. On fait semblant d’y croire, tout en sachant pertinemment qu’on est foutus. Le climatologue Jean-François Doussin le dit sans détour : « Dès lors que les émissions nettes seront égales à 0, la température de la Terre se stabilisera en quelques dizaines d’années. ». Un jour, peut-être. Quand les lobbies pétroliers auront fini de squatter les COP et que les États-Unis reviendront à la table des négociations. D’ici là, j’arrose ma coriandre vietnamienne. Au moins, elle, elle ne ment pas.

RAPHAËL BALDOS

La rubrique « En transition » est entre les mains de  Raphaël Baldos, journaliste membre de l’ONG d’enquêtes journalistiques en Bretagne splann!

Un choix fait conjointement avec la Biocoop Les 7 épis, qui parraine la rubrique, dans l’intention d’aller voir un peu plus loin.

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