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Antoinette Poisson et Port-Liberté

Par Isabelle Nivet. 29 juin 2023.

Port Liberté sorties de secours

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En février, je me suis fait un après-midi à Port-Louis pour rencontrer des gens au Tas de sable, un nouveau « tiers-lieu ». Parmi eux, il y avait Jean-Baptiste Martin et Vincent Farelly, le binôme d’Antoinette Poisson. On avait beaucoup parlé, et la fin de la conversation s’était terminée par un cliffhanger terrible, la promesse de l’ouverture d’un lieu, en juin. J’ai donc gardé ce papier sous le coude depuis lors, parce que j’attendais de retourner à Port-Louis pour tester « Port-Liberté ».

Mais revenons au mois de Février, au dernier étage du Tas de sable, un grenier dont les Velux ouvrent sur quelques petites vues mer et les toits de Port-Louis. Des tables longues, un traceur A zéro, des rouleaux, et du papier. Des papiers, des rouleaux, tout commence avec du papier peint. Mais pas n’importe lequel. Avant les rouleaux, il y a les feuilles. Celles du papier dominoté

Jean-Baptiste Martin et Vincent Farelly sont restaurateurs de papiers peints. Formés à l’Institut National du Patrimoine à La Sorbonne, ils redonnent vie et couleur à des pièces de musées, de châteaux, le plus souvent sur des chantiers énormes où les corps de métier travaillent de concert pour rendre aux lieux leur apparence d’origine. Après avoir travaillé comme des acharnés dans leur atelier pendant sept ans, on leur commande la restauration de la maison d’un notaire en Auvergne, et sur le chantier, ils découvrent, en soulevant six ou sept couches de papiers peints, des fragments de papiers dominotés datant du milieu du 18e siècle : « Ces papiers sont rares, ils ont pour la plupart disparu, donc on était très contents. On a conseillé au Conservateur du Patrimoine de le garder et il a voulu une reconstitution à partir des fragments. On s’est donc plongés dans l’histoire de la dominoterie et on a appris la technique, pour fabriquer à l’identique. On a commencé par le papetier, et on a trouvé Le moulin du verger, à Angoulême, qui utilise des techniques artisanales anciennes ».

antoinette poisson

Pour imaginer comment on imprime cet ancêtre du papier peint, il suffit de se représenter l’impression des tissus en Inde, ce fascinant coup de tampon donné par des artisans qui reproduisent un geste datant de l’époque des indiennes… Les motifs sont gravés sur des planches, ils sont encrés et imprimés un à un, décorés couleur par couleur à la main au pinceau ou au pochoir. Mais la différence avec les papiers d’aujourd’hui, c’est que le dominoté est imprimé sur des feuilles (les dominos) de 35 x 45 cm. Il faut donc le poser feuille à feuille – et c’est complexe – si on souhaite recouvrir un mur, et utiliser beaucoup de feuilles, ce qui, compte-tenu de la technique, représente un coût important.

Les motifs originaux sont dessinés par le duo, qui s’inspire de documents ou d’objets historiques : « On s’est mis à collectionner les motifs de l’art populaire du 18e – souvent floraux – et on continue à les reproduire, mais au bout d’un moment, le temps passé était tellement important, et on avait tellement de demandes des décorateurs, qu’on a pensé à compléter notre offre et adopter d’autres techniques, pour produire plus, plus vite et moins cher. ». C’est dans l’atelier de Port-Louis que sont imprimés les rouleaux « On utilise les deux techniques, mais tout part du dominoté, dont on digitalise les motifs pour les imprimer sur un traceur avec des encres pigmentaires sans solvants. Comme on scanne, ça conserve les irrégularités dues au geste manuel, et c’est ce qui donne un aspect artisanal ». Le duo travaille à Port-Louis, y crée motifs et objets, et y stocke sa production.

Antoinette Poisson Sorties de secours

En 2012, nait donc « A Paris chez Antoinette Poisson » (un hommage à la Marquise de Pompadour, née Jeanne-Antoinette Poisson et grande amatrice d’art et de papiers peints), dans l’atelier parisien de la rue Sabin, dans le XIe, qui continue à éditer du dominoté en feuilles pour la restauration, mais aussi pour la fabrication d’objets, comme au 18e siècle : des couvertures de livres, des intérieurs de meubles, des boîtes et des coffrets. « Les papiers dominotés ont disparu progressivement au 19e siècle, lorsque le papier en rouleau est apparu, avec des motifs plus raides, et plus sombres que ceux du 18e, lumineux, chatoyants… » Parallèlement, l’univers Antoinette Poisson se fait un nom, et de grandes marques ( Dyptique, Nina Ricci – le flacon et le packaging de L’air du temps, Gucci, Ladurée, ou, plus étonnant, Monoprix) se rapprochent de Jean-Baptiste et Vincent soit pour leur acheter leurs motifs, soit pour leur expertise en stylisme.

Et le hasard pose un petit caillou blanc sur leur route : une cliente vient les voir dans leur showroom. Elle habite Port-Louis, elle leur parle de la cité, du Musée de la Compagnie des Indes, d’une maison de patrimoine « à sauver ». Jean-Baptiste et Vincent viennent passer un week-end en Morbihan, ils visitent la maison, c’est un coup de cœur évidemment. La maison, bien préservée, est entièrement recouverte de boiseries sublimes, un coffre à jouets idéal pour ces fous de déco. Ils achètent, ils refont, ils y vivent, mais utilisent aussi le lieu (La Maison Lescop) pour mettre en scène leurs créations, faire des photos, comme celles du livre que Flammarion va sortir à l’automne, ambiance déco-cuisine de charme.

Maison Lescop

De la cuisine, oui, parce que c’est l’autre dada du duo. Et nous voilà revenus à notre point de départ, Port-Liberté, où j’ai passé une heure délicieuse avec les derniers rayons du soleil, dans le petit jardin de cette maison de charme, qui donne sur les remparts de Port-Louis. Quelques tables, c’est plutôt un restaurant avec une carte très simple, mais on peut aussi y boire un verre à condition de manger quelque chose avec. Nous, on a pris deux verres de vin et – pour 14 € – une assiette de poissons fumés et une poignée de salade et d’herbes fraîches et goûtues, et on a eu droit en amuse-bouche à quelques petits pois si frais qu’on a « dû » manger la cosse.

Port Liberté Sorties de secours

Ensuite, on est allé musarder dans la maison : une salle de restaurant avec quelques tables pour les soirées plus fraîches, un espace salon de thé minimaliste à l’étage, un showroom avec les tissus et papiers peints, et un « bazar chic » qui mêle fleurs fraîches, créations artisanales et objets de brocante. L’esprit se veut celui d’une auberge à l’ancienne, aussi le personnel porte-t-il des chemises d’aubergiste en lin bleu, trouvées (j’ai posé la question) chez Théâtr’Hall (un site que je vous invite à visiter pour la profusion des vêtements qu’il propose, destinés à servir de costumes de théâtre, mais qui donne des idées de tenues originales…). A part ça, inutile de sortir les superlatifs, c’est juste beau, travaillé avec simplicité et élégance, si plein de charme qu’on a envie de se cacher dans un des fauteuils et de n’en jamais repartir.

Port-Liberté Sorties de secours
port liberté

> Port-Liberté, 4 rue de la Poste à Port-Louis (entrée par les remparts), du lun au mer de 14h à 21h et du jeu au dim de 10h à 21h. Tél. 02 97 89 77 15.

 

Le site d’Antoinette Poisson

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