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Christophe Robin. Moi Jeu. Installations

• Vu à la Galerie Tal Coat, le 18 mai 2018 •


On se souvient de la première rencontre avec Christophe, il y a bien plus de dix ans. On se souvient mais on avait oublié. On lui dit qu’on a l’impression de tomber dans le terrier du lapin d’Alice. Il sourit doucement en nous rappelant que c’est exactement l’image qu’on avait utilisée dans l’article qu’on lui avait consacré à l’époque. On se dit qu’au moins on a de la constance dans notre imaginaire. Il nous dit « C’est bien, cette conversation, ça me fait une répétition pour mes visites d’exposition », et on s’entend lui répondre « En fait c’est toi l’œuvre. Moi, ce que j’aime, c’est t’écouter parler. C’est ta pensée, l’œuvre. Le support physique, presqu’il m’importe peu ».

Des mots et d’émotif (s)


Christophe Robin il rend imaginatif, attentif aux signes, aux mots, aux doubles sens, aux homophonies, aux anagrammes, aux miroirs, aux fils tendus entre les mots, au jeu. Et son expo il l’a appelée Moi jeu. Il dit que c’est peut-être un peu narcissique, mais nous on ne voit que le jeu dans son je. Tout le contraire d’un artiste conceptuel qui s’écouterait pérorer. Juste un être sensible et sincère. Cela dit, on reconnaît que ça doit être très différent d’entrer dans cette exposition sans rien en savoir et de la parcourir en sa compagnie, comme nous venons de le faire. Et retomber sous le charme de cette pensée (re)bondissante, qui fait de chaque phrase un écho à une sensation, de chaque mot un double sens avec un souvenir. On aimerait bien faire partager ce plaisir que l’on éprouve en découvrant cette pensée mais jamais on n’aura sa candeur, son enthousiasme d’ancien bègue qui fait se bousculer les mots derrière ces yeux bleus, comme une source de montagne jaillissante en gouttes cristallines.

Résoudre les maux par les mots


Il dit qu’il a « utilisé la galerie pour mettre en scène, rejouer des travaux », qu’on puisse « entrer dans son intimité, dans sa démarche ». Il nous ré-apprend –décidemment, on avait oublié ça aussi– qu’il a mangé très longtemps les mots. Littéralement. Il a dévoré des bouquins, n’en laissant que l’arête centrale (qu’il expose dans l’entrée de la galerie) : « J’ai bégayé jusqu’aux Beaux-Arts. J’étais confiné dans le silence. Les mots me faisaient peur, ils étaient destinés aux grands ». Son premier dictionnaire, reçu à six ans, il en mange toutes les pages, pendant que d’autres l’apprennent par cœur, il en « digére les mots, pour résoudre (ses) maux ». Un personnage idéal de roman, une histoire vraie pourtant, que l’artiste intellectualise aujourd’hui, mais qui n’en reste pas moins réelle « Quand j’ai découvert l’Oulipo (courant littéraire autour de la contrainte, popularisé par Georges Perec, ndlr), j’ai commencé à m’approprier les mots et jouer avec ». Il mange tous les livres qu’on lui impose de lire à l’école.
« J’aimais le goût du papier, son odeur. Quand je déchirais une page je lisais certains mots qui, parfois, me restaient »

Quand ils lui viennent enfin sans staccatos, il se met à parler : « Quand on m’interrogeait, je répondais toujours : «je ne sais pas», pour ne pas buter sur les mots. J’ai eu envie de prouver que j’avais des réponses ». Parallèlement, l’enfant, dont le langage exprimait déjà le rythme répétitif, se met à jouer de la batterie, un instrument où le bégaiement devient atout : « Je pouvais m’exprimer sans parole. Je lisais les partitions comme un langage ». Aux Beaux-arts, il joue avec les mots et la musique, il invente des partitions aléatoires en noircissant les pages des quotidiens pour ne laisser apparaître que les syllabes correspondant aux notes de musique. Chaque jour, une partition différente. La répétition sera désormais sa marque de fabrique : la musique, le motif, la sérigraphie –medium qu’il affectionne particulièrement– et sur l’affiche de l’expo, il est photographié en train de repasser…

Que suis-jeu ?


Au fur à mesure, les constellations que forme son langage, où tout fait tilt, où tout fait sens, sont devenues une seconde nature. Cette poésie du mot à double « jeu », à double sens, sort
naturellement de sa bouche, vient contaminer l’interlocuteur qui se prend au « je » de Christophe, et le rejoint dans ce « jeu » de mots, de correspondances. Lui il dit « L’enfant permet de construire son propre je. Le jeu construit le je ». Dans ce sous-sol de la Galerie Tal Coat, Christophe a recréé autant de pièces que d’œuvres, comme un appartement, dans lequel il aurait voulu vivre le temps de l’exposition. Il dit : « Il n’y a pas de frontière entre l’art et ma vie. L’art m’a aidé à me construire et ma vie joue avec l’art », en reconnaissant les influences de Marina Abramovic, Marcel Duchamp, Joseph Beuys. Nous on ajoute Sophie Calle à la liste, pour le goût des mots. On n’a pas l’envie de vous expliquer toutes les pièces, mais l’œuvre de Christophe a un peu du talent du cruciverbiste : une fois que l’on a compris le tour d’esprit, on en décode facilement les définitions…

ISABELLE NIVET
Juin 2018

 

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