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En présence des arbres

Par Isabelle Nivet
Au musée de La Cohue, à Vannes, une exposition met en regard deux artistes qui approchent l'arbre chacun à leur manière, de l'infiniment petit au monumental. « En présence des arbres" réunit Béatrice Bescond et Jacques Le Brusq, et c'est un choc immense.

On le sait, on l’a dit, on le répète, l’art ne souffre pas l’image, l’écran, la photographie, la reproduction. À peine tolère-t-il les mots, si dérisoires pour décrire ce qui existe en soi. L’œuvre doit se connecter au spectateur, résonner en lui, le toucher, le prendre. Et parfois, parfois, il se passe quelque chose. Quelque chose de l’ordre du mystique, de la vibration. Une épiphanie. Une transe. Un choc. Une rencontre.

On a rencontré quelque chose, dans cette salle de La Cohue. On ne s’y attendait pas. On avait vu les photos, oui, des arbres, on aime les arbres, bon. Oui ce vert, c’est beau. On est entré dans la salle, on est resté là, à écouter les commentaires que l’on nous faisait, sans prendre garde, sans se douter,sans se méfier. Et puis on s’est avancé, là, juste là au centre, tout au centre de quelque chose et on s’est retrouvé encerclé, comme dans un champ d’énergie. Quelque chose qui tournait. Un Stonehenge végétal. Le corps qui physiquement ressentait cette présence puissante, tutélaire, chargée de quelque chose qui semblait venir de très loin, de quelque chose de très ancien. Une force qui nous faisait presque tituber, qui nous serrait à bras le corps, comprimant la cage thoracique, faisait battre le cœur plus fort, écrasait les tempes comme si on était devenu le pivot de quelque chose qui tournait autour de soi. Des arbres. En réalité un arbre. Un chêne. Le tronc d’un chêne, ancré dans le sol. Pas de ramures, pas de frondaison, pas de feuilles, pas de canopée, le tronc comme une colonne de mousse verte sur fond vert, juste le tronc.

Qu’est-ce qu’on peut dire après ça ? Essayez ? Essayez. D’autant plus que le choc peut se reproduire durant la visite, sur d’autres œuvres, plus petites,
toujours presqu’intégralement vertes, des paysages cette fois, mais dans lesquels on est littéralement projeté, à la manière du bullet time de Matrix. Notre guide, Morgane Meresse, nous explique que pour Jacques Le Brusq, l’arbre est « une présence immuable qui s’impose à lui », que l’artiste « ne choisit pas ce qu’il peint, ça s’impose à lui » et surtout, et cela explique en partie la force de la présence « l’arbre n’est pas peint de profil mais de face, toujours. Le peintre
s’installe face à un être. Il peint l’arbre entant que présence. Le Brusq se dit l’outil de ce qu’il voit ». Ce chêne, qui nous a tant bouleversé, n’a pas de profil, où que l’on se place on est face à lui, face à l’une de ses quatre faces.

Aux côtés des arbres de Le Brusq, c’est un autre travail magnifique, même si il a été difficile de retrouver de l’énergie et de l’enthousiasme pour autre chose après une telle expérience, mais pourtant, oui, l’œuvre de Béatrice Bescond est belle, très belle, et sa méthode tout aussi étonnante que celle de Le Brusq. Et résonne aussi, dans l’infiniment petit, la matière, l’énergie, les flux vitaux et végétaux, comme un regard sur les cellules au microscope. Délicat, subtil, d’une grande finesse, son dessin exprime une autre facette des arbres, mais dit au fond la même chose, c’est un hommage à l’arbre en tant qu’élément fondateur de notre monde. Qu’on ne s’y trompe pas. Ici pas de théories manichéennes à la Avatar et son arbre des âmes, ni influences New Age à la manière de La Prophétie des Andes, mais plutôt une célébration du bonheur à fréquenter des arbres, à la manière du livre de Peter Wohlleben, La vie secrète des arbres. On a beaucoup aimé ses arbres à elle, faits de petits traits, à regarder de très près avant de s’en éloigner. Ces allers et retours du proche au lointain nous permettent une empathie avec l’œuvre, une connexion profonde, presque biologique. Il faut juste un peu de temps pour reprendre ses esprits avant de se confronter avec son œuvre.
Ils ont dit

Béatrice Bescond : « Pour moi, créer avec l’arbre, c’est être à l’écoute des mouvement de la vie végétale, c’est percevoir les flux qui l’animent et interroger les symboliques qui l’accompagnent »

Jacques Le Brusq : « La peinture nous donne à voir ce qui sans cesse se dérobe, ce qui sans elle ne saurait être vu. En précédant le langage, elle nous met spontanément en présence du premier matin du monde, là où les mots ne sont pas encore »

BÉATRICE BESCOND
Née à Brest en 1956. A étudié à l’École Nationale Supérieure des beaux-arts de Paris. Depuis 1996, vit et travaille à Vannes.
JACQUES LE BRUSQ
Né à Rennes en 1938. Diplômé de l’école des beaux-arts de Paris. Vit actuellement à Nantes où il participe activement à la vie artistique.

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