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Frédérique Mingant. 1984

Faisons un retour en arrière, aux origines de votre désir de monter 1984…

Il y a trois ans, j’étais en train de jouer Les caprices de Marianne, et c’était la première pièce que je faisais qui n’était constituée quasiment que d’interrelationnel. Il me manquait vraiment la dimension sociétale. C’est là que j’ai repensé à 1984, que j’ai beaucoup lu, où la question de la liberté se posait en écho à mes questions. J’ai commencé à travailler sur le roman, à jouer avec ce matériau, couper dedans, mais je n’ai pas obtenu les autorisations des ayants-droits d’Orwell, qui ont argumenté qu’il existait déjà quatre adaptations théâtrales en Angleterre. Moi qui ne voulais pas partir d’une pièce existante, l’une des quatre m ’a pourtant laissée pantoise, celle de Duncan Macmillan et Robert Icke, qui avaient fait de 1984 un jeu d’énigmes, fragmenté et labyrinthique. J’ai donc reporté à plus tard ma liberté romanesque, mais le travail de plateau a été irrigué de ce rêve que j’avais traversé pendant un an.

Qu’est-ce qu’il y a de particulièrement séduisant dans leur texte ?

L’axe de cette adaptation est passionnant, car il donne une vision du personnage principal, Winston Smith, sans partir du prédicat qu’il est un résistant dans son bon droit, ni du fait que Big Brother est le « méchant ». Cela crée le trouble, de ne pas savoir d’où vient l’oppression. Pour moi, ce qui est intéressant dans 1984, c’est de trouver où se nichent l’oppression et la dictature dans nos habitudes, nos modes de jugement. Comprendre la circulation de la pensée…

Comme une manipulation insidieuse, à notre insu ?

Armand Robin, dans « La fausse parole » (le journal d’une écoute des services de propagande soviétique, la dénonciation de la mécanique du mensonge…ndlr) dit ceci : « Le grand combat du 21e siècle sera dans le cerveau ». 1984 est écrit à la troisième personne en focalisation interne. Tout ce que l’on sait, c’est via Winston. On ne sait rien de la réalité. On pourrait tout aussi bien être dans un cerveau malade, ou manipulé. C’est ce qu’on a essayé de rendre avec le travail du son, la spatialisation, les sources du son, les respirations, les battements du coeur… Donner l’impression d’être à l’intérieur de la tête de Winston.

Côté scénographie, vous avez joué sur l’épure ou sur les effets spéciaux ?

On a beaucoup travaillé sur la vidéo avec bien sûr l’influence de Brazil (Interprétation cinématographique de 1984 par Terry Gilliam, ndlr), mais aussi la question de la surveillance — caméras, écrans — en choisissant de traduire Big Brother en français, pour être dans le même ressenti que celui des premiers lecteurs, parce qu’aujourd’hui, Big Brother est presque devenu un nom propre, il a perdu cette force du terme « grand frère », qui est très effrayant…

PROPOS RECUEILLIS PAR ISABELLE NIVET
Mars 2017

 

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