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Gilles Clément. Jardins philosophiques

Il n’est pas toujours simple de suivre l’écriture de Gilles Clément, qui, pour coucher sa pensée, souffre du syndrome du perfectionnisme, et à qui il faut parfois de très longues et très compliquées phrases pour exprimer une idée toute simple. Mais l’(en)jeu en vaut la chandelle, puisqu’à travers sa façon de concevoir le jardin, c’est une philosophie du rapport à la nature et plus largement à l’autre, à la société et à l’économie, qu’il élabore. Clément pense la diversité — biologique ou culturelle — comme facteur d’équilibre, et l’hybridation comme facteur d’évolution : le contraire des théories protectionnistes. Plus qu’une métaphore, le fonctionnement des espèces végétales est un exemple pour la société et le jardinage de Clément un modèle : consommer moins et plus juste, développer l’échange et le partage de savoir et de culture, « faire le plus possible avec, et le moins possible contre les énergies en place », relocaliser les échanges et la distribution… L’exposition du Domaine de Trévarez présente trois grands concepts, dont Le Jardin en Mouvement : espace de vie laissé au libre développement des espèces qui s’y installent d’elles-mêmes. Au jardinier de les infléchir en respectant leurs choix, « pour les tourner à son meilleur usage sans en altérer la richesse, en interprètant leurs interactions et leurs mouvements pour prendre des décisions : balance entre l’ombre et la lumière, arbitrage entre les espèces en présence... Comment intervenir avec la plus grande économie de moyens, limiter les intrants, les dépenses d’eau, le passage des machines… ». La base, comme pour toute évolution, c’est l’observation, la connaissance.
« Apprendre où on est, où on habite : le basique… La botanique, la géologie, le terrain… C’est important de transmettre ça »

Le Jardin Planétaire est « un concept destiné à envisager de façon conjointe et enchevêtrée la diversité des êtres sur la planète » qui considère nos ressources comme précieuses, précaires, et épuisables, d’où notre responsabilité à leur égard. Chaque jardin représente une parcelle de cette ressource, où s’exprime la diversité et l’hybridation qui rendent si riche le monde. Le Tiers-Paysage représente enfin « l’ensemble des espaces où l’homme laisse la nature faire sans lui : friches, marais, landes, bords de route, rives, réserves, sommets, déserts… L’espace privilégié d’accueil de la diversité biologique, le réservoir génétique de la planète ». Les jardins de résistance : Résister à tout ce qui nous asservit, des gouvernements aux lobbys industriels, par une méthode douce, à travers les jardins, c’est l’idée politique de Clément. Revendiquer la gratuité de l’accès à ce qui nous appartient à tous, air, sols, végétal, et l’eau, qu’aucun système ne devrait avoir le droit de nous facturer : « C’est une capture du bien commun ». Le maillage des innombrables jardins dans le monde permettra, selon Clément, de constituer un réseau de résistance contre le modèle destructeur du capitalisme : « La substitution d’un système par un autre se fera alors par un glissement irrépressible et logique de l’iniquité des charges vers la répartition des charges, de l’iniquité des biens vers une possible répartition des biens, et de la privatisation du bien commun vers la libération de celui-ci ».

ISABELLE NIVET
Juin 2017

 

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