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Le bestiaire de Grégoire Solotareff

C’est un hasard mais au même moment, à Landerneau, s’expose Henry Moore, pape de la sculpture moderne et figure de l’épure. Les sculptures de Solotareff y font écho, ainsi qu’à celles d’une autre icône du XXe siècle, François Pompon, connu pour ses magnifiques animaux stylisés. Ici, aux huit pièces qui ponctuent le parc, se fait un troisième écho et pas des moindres, puisque l’essence de bois choisie par Solotareff pour son bestiaire est celle du Séquoia, espèce représentée en nombre dans la forêt de Toulfoën. Un bois de Séquoia sombre, presque noir, poli à l’extrême et très doux, pour figurer un cheval, une loutre, trois oiseaux, un rat musqué, un renard et un écureuil. Solotareff en parle avec tendresse :
« On a fait en sorte que ce soient des sculptures praticables, pas sacralisées. Elles sont faites pour que l’on puisse s’asseoir dessus. J’aime dessiner aussi des choses utiles »

Tout a commencé par des dessins : « Il y en avait au moins 500 au départ. Au fur à mesure les choses s’éliminaient, j’ai fait des choix. Puis des maquettes. On a beaucoup échangé avec Stéphane Dufresne : je voulais quelque chose de très épuré, simplifié, stylisé. Ce n’est pas du design, mais c’est très doux ». Réalisés dans des billes de Séquoia de 300 kg et de 2,50 m de long, les animaux de Solotareff sont légers, dans le mouvement, comme à l’affût, ou sur le point de s’envoler...

Des racines au Pouldu


Si c’est Saint-Maurice qui accueille l’exposition de Solotareff, qui comporte aussi des dessins, c’est à la Chapelle Saint-Jacques que nous nous sommes rencontrés, alors qu’il termine son bestiaire diabolique. Une chapelle qu’une famille suisse de ses amis, les Renaud, a eu l’élégance d’offrir à la ville de Clohars-Carnoët après l’avoir restaurée. La tribu Solotareff vient en vacances au Pouldu depuis la fin de la guerre de 14, et en 2016, à Clohars, une exposition familiale permettait au public de découvrir notamment l’univers graphique de Grégoire et celui de sa sœur, Nadja, également auteure d’albums jeunesse. La douzaine de bestioles peintes par Solotareff est accrochée avant son départ pour Saint-Maurice ; sur fond rouge sang l’influence médiévale est patente : entre chimères et gargouilles, ses animaux hybrides composent une mosaïque de gentils monstres trop timides pour faire vraiment peur. Solotareff ne sait pas faire autrement que donner à ses créatures ce regard typique, dubitatif, penaud, naïvement admiratif. Un regard irrésistible, que l’on retrouve dans toutes ses créatures, et qu’il dit être exactement celui de son chat. Peut-être un tout petit peu le sien aussi ?

Enfin, dernier volet de l’exposition, une série de 70 films de dessin en accéléré, absolument réjouissants, travail rapide à l’encre, sans repentir « Ce sont des dessins pour moi, comme des exercices, des gammes, pour le plaisir de travailler, de ne penser à rien d’autre qu’à ce qu’on fait, sans notion du résultat. Ça permet de savoir où on en est par rapport à son désir ». Solotareff dessine avec ce qu’il a sous la main : le doigt, un bambou, un crayon, un pinceau… « Quelque fois, il y a quelque chose qui vous fait avancer. Pour moi, si on s’impose quelque chose on est moins bon : on se fait une commande à soi-même. Les cadres, les contraintes, les contingences sont interdits, dans l’illustration, et le temps de travail quotidien permet de ne pas être dans sa zone de confort, de ne pas répéter ce qu’on sait faire, de rester en alerte, en appétit. Je cherche toujours quelque chose qui me surprenne, qui m’emmène au delà de ce qu’on attend de moi ».

ISABELLE NIVET
Juillet 2018

 

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