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Sébastien Barrier. Chunky Charcoal

Il y a deux ans, tout pile, tout rond, dans le numéro de mars 2015, nous publiions un road movie Paris-Rennes, en compagnie de Sébastien Barrier, son camion à la vitre cassée et son
chat Wee-Wee sur nos épaules. En mars 2017, c’est face à la rade de Lorient - coulures de nuages, ondes de mercure et trainées de gris - que nous luttons vaillamment pour garder le cap tandis que Barrier nous entraîne dans les méandres de sa pensée comme un poisson pilote dans le récif de corail, tandis qu’il engloutit méthodiquement, comme un athlète en salle de fitness, des crêpes sorties du frigo et tartinées de miel du Gâtinais, qu’il étale comme un plâtrier, à grands coups de petite cuillère. Vue sur mer, depuis la vigie où Barrier vient récupérer de ses tournées marathons (il rentre d’un mois au Théâtre de la Colline), il nous raconte la genèse de Chunky Charcoal, son nouveau spectacle, tandis que Wee-Wee a cette fois la bonne idée de vivre sa vie à plus de vingt centimètres de nous…

Chunky Charcoal, c’est, comme toujours chez Barrier, des choses qui se passent, qui se font, qui en entraînent d’autres, et roulent, et embarquent des idées, des paroles, des mythes, qui s’enroulent et se tissent et créent pour finir une trame lisible et évidente. Comment faire bref pour raconter ce qui est un parcours de vie, de rencontres, de pensée ? Le point de départ, une performance à Toulouse avec Benoît Bonnemaison-Fitte, où les deux hommes confrontent « blabla » et écrit. Benoit est affichiste, illustrateur, du courant de ceux qui s’amusent avec la mise en forme graphique de l’écrit. Il entre progressivement dans la pensée de Barrier, la traduit plastiquement, la devance, la rattrape, la double et l’emmène ailleurs. Pourtant, la pensée de Barrier est une bombe, lancée comme un Pacman dans un labyrinthe tortueux, wagonnet bondissant à toute allure dans une mine peuplée de personnages, de coïncidences, de digressions, de liens impalpables…

A force de chercher, d’expérimenter, de performances improvisées en répétitions publiques, de plantades en miracles, le grand laboratoire de Barrier met enfin à jour le point commun
« J’ai fini par comprendre que je ne parlais que de la perte »

Le récit s’organise, avec ses digressions structurées, listes, lectures, histoires... « Aujourd’hui le récit est tellement riche que je peux l’aborder par différents points. Ça n’a jamais été aussi naturel, j’arrive à raconter sincèrement au moment où je raconte ». Sur scène, le guitariste Nicolas Lafourest prête ses climats à Barrier, une musique qu’il utilise et avec laquelle il respire
« La musique influe sur ma manière de parler sans que ça m’intimide ni que je la recouvre ». Benoit, lui structure et nomenclature l’apparent désordre de Sébastien en arborescences graphiques, au charbon noir (charcoal) sur un immense mur blanc. Beau et signifiant, le résultat est troublant, comme la cartographie d’un cerveau en pleine ébullition. « J’y pense tout le
temps, j’y rêve. La finalité de mes journées, c’est d’emmener ces choses sur scène, alors je guette ce qui pourrait donner du sens »

BARRIER POUR LES NULS


Il n’est pas comédien, ni conteur, ni prêcheur, ni bonimenteur, ni écrivain, ni performeur, et un peu tout ça. Auteur sans Remington, Barrier écrit avec la voix, même si les quelques
traces écrites — notamment sa chronique « Les aventures de Wee-Wee », chez nos confrères du Haut-Parleur, magazine culturel nantais — témoignent d’une plume élégante, aux formules stylées, d’une désinvolture séduisante. Créateur et incarnation du personnage de Tablantec, hilarant et mordant bateleur en bottes Aigle à bandes blanches, officiellement trucidé depuis une poignée d’années, Barrier porte un spectacle mythique comme une croix, évangélisant les foules avec « Savoir enfin qui nous buvons », exégèse des vins naturels, spectacle fleuve pouvant enfler jusqu’à sept heures de représentation.

ISABELLE NIVET
Mars 2017

 

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