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Vincent Mauger

Il y a eu « Tron » en 1982. Une SF à l’esthétique aujourd’hui vintage : des grilles d’un vert à s’arracher les yeux, dans lesquels s’immergeaient les personnages. Des résilles lumineuses et
mouvantes, avec des pleins et des vides, que l’on retrouve aujourd’hui dans les spectacles d’Adrien Mondot, notamment, avec lesquelles des danseurs interagissent. Vidéo, mapping, ces
lignes et quadrillages virtuels sont les mêmes que ceux des logiciels 3D qu’utilisent les designers et les ingénieurs. Ce préambule, un brin longuet, est pourtant essentiel pour décrire le
travail de Vincent Mauger, qui fait exactement le processus inverse, en retranscrivant le virtuel dans la réalité, le concret, la matière. Ses oeuvres donnent cette exacte impression de grilles 3D mouvantes, mais en dur. Très dur parfois même. Jusqu’au granit. Mauger affectionne les matériaux de construction, brique, bois, lames de PVC
« J’aime que ce soit ordinaire. Et donner l’impression que le matériau est fait pour ça »

Fait pour ça, c’est à dire se faire grignoter, meuler, déchiqueter, comme une souris attaque un paquet de gaufrettes. Presque par
l’intérieur. Le résultat, une sensation de volume extraordinaire. De l’ordinaire du matériau surgit l’infini d’un paysage, le vertige de se sentir au bord d’un gouffre, entre deux failles
rocheuses, au sommet d’un piton escarpé. Sans qu’à aucun moment on ne visualise ou imagine clairement un paysage, la notion de géographie s’impose, comme si l’on se trouvait transporté
dans une carte de randonnée, au bord d’une isoplèthe d’altitude, ces courbes marron des Top25… Entre abîme souterrain et plafond de crypte, ces volumes créés d’abord par accumulation
de matériau, puis par soustraction créent la sensation de hauteur, et — on insiste — de vertige.

Ce que recherche Mauger, en effet, c’est « davantage la sensation qu’on peut avoir en face d’un paysage, de grands espaces désertiques, de l’immensité de la mer… ». Et jamais ce n’est la reproduction d’un relief qui l’entraîne ici ou ailleurs « C’est l’identité du matériau qui me conduit, ou, comme ici, le jeu avec les spécificités du lieu, son aspect, ses dimensions, son architecture… Il y a un va et vient entre le matériau et ce qu’on va en faire, avec ses caractéristiques. J’expérimente ce qu’il est possible de faire ou pas. J’aime bien la surprise, que tout ne
soit pas planifié. Je ne trafique rien : j’aime l’ambiguïté du fait que ce soit juste la répétition d’un geste simple qui donne l’impression d’une découpe numérique ». Un geste manuel pour avoir l’air d’une ossature en 3D. L’anti Tron…

ISABELLE NIVET
Février 2017

 

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