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Garouste & Bowie. Rock & Painting #1

« Rock & Painting, c’est une série née sur Facebook en octobre 2019 dans laquelle j’associe chaque jour une toile et un morceau de rock. Dans laquelle j’associe mon amour de la peinture et du rock ». Catherine Pouplain. Mai 2020

La toile est assez grande, 1,30 m sur 80 cm. Mais plus encore, elle est impressionnante. S’y dresse un homme au corps déformé et douloureux. La peau est blanchâtre. Son pantalon est retroussé, il est pieds nus, de trois quarts, le dos vers nous. Mais ce qui frappe, ce sont des mains gigantesques, des doigts interminables dressés vers les hauteurs. Visiblement, cet homme ne va pas très bien. Son tourment s’étale là devant nous, sur un fond rouge vif. La toile s’appelle « Le Vol du fou ».

Cet homme, c’est Gérard Garouste, le peintre. Cette toile est un autoportrait de 2003. Un parmi de nombreux autres dans lesquels il se montre à nous dans son état de folie, dans ses crises de délire dont il a souffert pendant des dizaines d’années. J’emploie ce mot « folie » parce qu’il l’assume totalement. Même si sa pathologie porte des noms plus officiels : bipolaire, maniaco-dépressif, il s’en moque.

« Je suis peintre. Et fou. »

Il y a un autre autoportrait de la même époque où il apparaît de face, toujours le corps déformé, toujours pieds nus, le pantalon retroussé et le regard désorienté, animal. Cette toile illustre la couverture d’un livre que Gérard Garouste écrit en 2009 et dans lequel il dévoile les affres d’une démence qui a conditionné toute sa vie d’adulte. Le livre s’appelle « L’Intranquille », sous-titré « Autoportrait d’un fils, d’un peintre, d’un fou ».

Autoportrait d’un fils parce que Garouste y évoque longuement les relations douloureuses avec son père dont l’antisémitisme et le pétainisme violents sont une obsession contre laquelle il lutte à travers toute son œuvre.

Autoportrait d’un peintre parce que forcément, il raconte comment il est venu à la peinture, lui le fils d’une famille imperméable à toute forme artistique, au spirituel, à l’imaginaire.

« Il me fallait démonter la grande manipulation religieuse et familiale. C’était ça mon sujet et ça n’allait plus en changer ».

Adulte, il bouffe de l’art, se forme avec Marcel Duchamp aux Beaux-Arts, prend des cours au Louvre. Il découvre les arts aussi par son épouse Élisabeth, fille d’une famille de juifs communistes.

« Je sortais du néant. Ma famille rongeait les os d’obscurs tabous. L’école ne m’avait ouvert aucun chemin. Rien ne m’avait été transmis ».

A 22 ans, en 68, c’est par une expo de Jean Dubuffet aux Arts Déco qu’il découvre le lien entre art et psychiatrie.

« Dubuffet, qui aimait choquer la noble culture, tissait ici un lien entre l’artiste et le fou. Je n’étais encore ni l’un ni l’autre. »

Sa peinture sera obsédée par les grands héritages des maîtres mais aussi par les lettres avec en tête Dante et Cervantès dont le personnage de Don Quichotte est le fou par excellence. Sans oublier la Bible.

Enfin, autoportrait d’un fou. Sa première crise, il la fait un été au début des années 70, en vacances. Un jour, il part, sans rien, fait du stop, donne son alliance au conducteur et prend un train jusqu’à Paris. Là, pendant un jour ou deux, il erre, il interpelle les gens, détruit le hall d’un hôtel – le Ritz – et le coin tabac d’un café. Il enlève sa chemise, retrousse son pantalon, se met pieds nus. Comme dans la toile… C’est là qu’il fait son tout premier séjour à Sainte-Anne. Premier d’une très longue série d’internements. À la même époque, il devient père. Une boucle dans sa vie qui n’est pas étrangère à son trouble. Il continue également à peindre mais considère que tout son travail pendant ces crises est mauvais.

« Le délire ne déclenche pas la peinture, et l’inverse n’est pas plus vrai. La création demande de la force. L’idéal du peintre n’est pas Van Gogh, s’il n’avait pas mis fin à ses jours, il aurait fait des tableaux plus extraordinaires encore. L’idéal, c’est Velasquez, Picasso, qui ont construit une œuvre ET une vie en même temps. Pourquoi un artiste n’aurait-il pas droit, lui aussi, à l’équilibre ? »

Gérard Garouste commence à avoir du succès dans les années 80, expose dans le monde entier, fait du théâtre, écrit. Mais les crises continuent et la dépression s’en mêle. En 91, il monte l’association La Source qui ouvre les arts plastiques aux enfants défavorisés. Petit à petit, il s’en sort, solde son passé, quitte une peinture qui « était trop pleine d’une envie d’en découdre ». Mais il reste fragile. Sa dernière crise il la fait quand il devient grand-père en 2007. Il fuit tout ce qui peut le refaire basculer, les grandes villes, les émotions fortes, la colère, les chiffres, parce que pendant ses crises, il compte tout…

« J’ai entretenu sur ma toile un monde terrible et ancien, j’ai envie de passer à autre chose, d’aller vers une peinture plus gaie, j’aimerais désormais toucher les enfants de mes amis, m’autoriser plus de légèreté. »

Pour illustrer cette toile, « Le Vol du fou », j’avais initialement choisi « Where is My Mind ? » des Pixies, (« Où ai-je la tête ? »).
Mais, j’ai demandé à mon partenaire de Rock & Painting, Alex, qui a le secret de choix musicaux rares et percutants, une meilleure idée et il a immédiatement proposé « All The Madmen » de David Bowie, écrit en 1970 (Extrait de l’album « The man who sold the world », ndlr) et dans lequel il évoque son demi-frère Terry Burns, qui a souffert de schizophrénie de nombreuses années avant de se suicider en 1985.

Titre dont je cite le refrain qui, je suis sûre, parlerait à Gérard Garouste :

Je peux voler, je hurlerai, je me casserai les bras
Je me ferai mal
Je reste ici, le pied dans la main, parlant à mon mur
Je ne suis pas bien du tout, n’est-ce pas ?

 

Le vol du fou Gérard Garouste

Le vol du fou © G. Garouste

Chronique diffusée le 9 décembre 2019 dans le Rock Club #89 de Radio Balises 99.8 FM https://radiobalises.com/

 

 

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