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La mal coiffée en concert

Par Jean-Louis Le Vallégant. Vu à Amzer Nevez / Ploemeur le 13 avril 2023.

Jean-Louis Le Vallégant Sorties de secours

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La Mal Coiffée, quatuor de polyphonies occitanes, reprend dans son spectacle ROJE/Rouge « la parole contre toutes les dominations : les coloniales, les nationales, les économiques, les médiatiques… » Ce type de démarche engagée correspond bien à certaines orientations d’artistes, ici des chanteuses, du sud de la France. En cela elles se différencient de celles de l’Ouest. Vite dit, à l’ouest, pour les musiciens, la démarche prend pour socle principal la note, tandis que la note navigue rarement sans le mot au sud.  La propension « tchacheuse » à nommer, semble une évidence au sud, alors que l’Ouest apparait plus disert. Lubat, Minvielle, Fabulous Trobadors, Le cor de la plana, Nougaro, IAM ne viennent-ils pas de ce Sud-là ?

 

Les polyphonies occitanes n’existent pas, du moins historiquement
Cela n’empêche pas La Mal Coiffée d’en faire son « fonds de commerce » depuis vingt ans. À sa manière, elle « invente » la polyphonie Occitane. La formation est l’un des actionnaires principaux de la coopérative artistique Sirventès. De plus, elle travaille en pépinière, dès le démarrage de son histoire, avec le musicien Laurent Cavalié. Le garçon expose aux filles des textes, des chemins de travail, des compositions… Ensemble, ils construisent un jardin partagé, bouturent, sèment et exposent de nouvelles propositions, du disque à la scène. À sa manière, La Mal Coiffée invente encore à travers cette collaboration tout comme elle invente une prise en main singulière de la production et la diffusion de ses propres spectacles par la coopérative Sirventès. À noter qu’une partie des recettes et des droits tirés des spectacles ira dans le pot commun de la coopérative, servant ainsi à soutenir d’autres initiatives.

Dans ROJE/Rouge, Marie Coumes, Myriam Boisserie, Karien Berny et Laetitia Dutech alternent très justement chœurs et voix accompagnés notamment de « percussions végétariennes », un art brut de bricolis rythmiques de tous ordres, concoctés par le talent de Marc Oriol : des courges en guise de cuica, des bérimbaos imaginaires, un bâton banjo…

 

La radicalité instrumentale, musicale et textuelle est là
La poésie, la révolte et l’engagement sonnent en occitan. Sans clinquant, la parole circule de femmes en femmes, favorisant notre compréhension du propos sans que cela soit didactique. Le groupe, sans leader apparent, fonctionne en un même souffle. C’est impressionnant, ces unissons de pensées musicales, ces nuances posées sur l’élégance. On mesure la masse de travail requise et la complicité de vingt années de collaboration.

Il manque cependant un petit quelque chose pour que l’on tombe complètement de sa chaise : un peu d’humour peut-être… Laetitia Dutech, par ailleurs excellente percussionniste et voix unique, se prend par deux fois les pieds dans le tapis de l’ordre du set et cela s’avère très drôle, puisque involontaire. Une première fois, elle s’apprête à énoncer l’intro d’une pièce alors que ses commères n’en sont pas là ; une deuxième fois elle s’escrimera à fixer à sa ceinture un tambour qui n’entend pas être ainsi mené à la baguette. Deux ressorts comiques qui permettraient d’alléger la tension induite par la domination, axe principal du spectacle. Le morceau de rappel, lui, est d’une pureté sans pareil. Imaginé en une autre place, il aurait sans doute permis d’éviter le ventre mou ressenti dans le dernier tiers du spectacle.

La Mal Coiffée partageait le plateau ce soir-là avec leur « collègue de bureau » : Laurent Cavalié.
De sa voix souple et doucement étendue, ce multi instrumentiste « tchacheur » s’accompagne au Padenon, instrument non fretté, bâtard d’une union entre un luth et un ‘ngouni Malien, à moins que ce ne soit un Guembri Marocain. C’est beau et remarquablement simple. « C’est ça qu’est dur, de faire simple ». Avec une précision suisse, le Narbonnais nous balance des rythmiques sur lesquelles s’accrochent les mots engagés.  Sans effet genre boucleur, harmoniseur, tiré du catalogue d’un revendeur allemand de chinoiserie, la progression dynamique du set nous enveloppe. Ce solo fréquente entre autre l’olivier, un merle blanc bien cabot, la mâchoire d’âne donne le tempo de la bourrée et mes voisins enthousiastes finissent par me saouler en tapant du pied à contre sens (je n’ai pas écrit à contre temps). On en prendrait bien encore une ‘tite goutte… Je me console en écoutant « A la frontiera dels gigants » dernier album d’un balaise du sud.

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la mal coiffée

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