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Edition. La Nouvelle bleue, made in 56

Par Isabelle Nivet. Novembre 2023

la nouvelle bleue

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Focus sur une jeune maison d’édition morbihannaise, « La Nouvelle Bleue », créée en 2020 par le photographe Xavier Dubois, qui a – entre autres – bossé pour Armen, et Jean-Benoit Beven, ancien journaliste chez Presse-Océan.

 

Le duo a choisi de nicher dans l’ancien café Ty Gwen de Kergonan, à Languidic (un peu) loin d’un océan très présent dans leur catalogue, très axé sur la Bretagne maritime, et qui privilégie « le choix de la qualité par rapport à la quantité ». Peu de titres, mais des bouquins au papier épais, bourrés de photos d’auteur, un positionnement assumé par Xavier Dubois, qui s’éclate visiblement dans le job, avec une patte très marquée par la profondeur de champ, les premiers plans ultra présents, un grain poétique et un joli tour de main pour les portraits.
Très axée sur la photographie, La Nouvelle Bleue commence à avoir un catalogue solide de bouquins de cuisine alternatifs, composés comme des magazines, avec une partie portraits et reportages sur les hommes et les femmes du territoire breton. Une piste empruntée après un premier livre réalisé avec le conteur gastronome Lucien Gourong, et l’édition d’une revue sur la vie insulaire : « îL(e)s) ».

 

Trois livres ont atterri dans nos bureaux, et on les a épluchés pour vous. Deux sont signés par des collaborateurs de Sorties de secours : Manon Liduena pour « Je cuisine à la Lorientaise » et Gérard Darris pour « A sec ».

darris

Honneur aux hommes, commençons par Gérard Darris, qui se pose de temps en temps dans nos colonnes avec ses dessins, au gré de ses balades. Croqueur obsessionnel, Gérard fait partie des Urban sketchers, ces dessinateurs sur le vif qui installent pliants, pinceaux et couleurs de ci de là, lors de sessions collectives.

Dans « A sec », c’est seul qu’il a fréquenté le port de Keroman, où une grande majorité des 50 dessins qui composent son livre a été réalisée :

« 90 % des dessins ont été faits à Lorient, mais je suis aussi allé me promener du côté du Port du Legué à Saint-Brieuc, à Concarneau, au Guilvinec, à l’Île aux moines… Je voulais une grande variété de bateaux. A Lorient, sur l’aire de Keroman, il passe entre 200 et 250 bateaux par an : je voulais montrer cette diversité ».

Un petit texte présente l’histoire de chaque bateau, composé d’anecdotes et de souvenirs de son équipage, qui finit inévitablement par venir reluquer derrière l’épaule de Darris lorsqu’il dessine, et une fiche signalétique donne les mensurations de chaque modèle : son lieu et sa date de construction, longueur, poids, tirant d’eau et port d’attache. Bordeaux, La Turballe, Douarnenez, Vannes, Brest, Nantes, le Guilvinec, Granville, Saint-Jean-de-Luz, Saint-Malo, Nice, Calvi, Les Sables d’Olonne, Marseille, Bâle, Saint-Brieuc, La Rochelle : ils viennent de toute la France pour se faire refaire une beauté à Lorient, où sont à leur disposition « de gros moyens de levage, ce qui permet d’accueillir des bateaux de pêche, des remorqueurs, des barges, des vieux gréements, des unités militaires, des voiliers de course au large, des yachts, des navires de recherche océanographique… J’ai un badge pour entrer sur l’aire, je commence à être super connu là-bas, avec mon pliant et mes carnets ! Je reste deux heures, et les gens finissent toujours par venir me voir et m’inviter à bord pour me raconter l’histoire du bateau »

Résultat, une galerie de portraits où chaque bateau pose nu, affichant sans complexes ses formes, ventres ronds, hanches larges, arrières appétissants. Le trait varie du portrait classique à l’esprit bédé, les aquarelles sont plutôt gourmandes, avec des couleurs vives, dans ces dessins qui font du bien aux yeux. Avouons-le, c’est joli et ça se feuillette comme un album de famille.

je cuisine à la lorientaise

Le second ouvrage, « Je cuisine à la Lorientaise », est écrit par Manon Liduena, qui, chez nous, a tenu une rubrique resto, puis a porté haut la voix du Planning Familial, le temps de sa mise en place à Lorient. Après avoir planché sur « Je cuisine à la Vannetaise », l’autrice s’est attaquée à Lorient, dans un livre presque carré où les recettes alternent avec des reportages. Côté recettes, la série (qui compte cinq autres titres : à la Malouine, à la Rennaise, à la Quimpéroise, à la Brestoise et à la Nantaise) suit toujours le même canevas : deux jeunes chefs, choisis pour leur ancrage fort dans le territoire, et 25 recettes.

A Lorient, ce sont deux personnalités marquées qui ont été choisies, la flamboyante et gouailleuse Marine Nagy, du Poulpe, et le rassurant et joyeux Vincent Seviller, de Gare aux goûts. Toutes les recettes exploitent les produits locaux (Manon les a suivis pendant un an, le temps d’éprouver toutes les saisonnalités des produits), et nous, on a retenu chez Gare au goûts une « Royale de champignons, émietté d’araignée au café » et une « Langoustine au lait ribot, chou de Lorient à la poutargue ». Au Poulpe un « Groin de cochon snacké, potimarron rôti, sauce champignons » et une « Aile de raie façon Kig ha farz ».

Des recettes qu’il a fallu écrire simplement, ce qui n’est pas une habitude pour ces chefs qui travaillent à l’instinct, à l’impro « sur l’ingéniosité du quotidien ». Pour Vincent « On ne pèse pas les ingrédients : c’est l’expérience. Là, on a pris le temps pour que le lecteur puisse suivre la recette et réussir avec du matériel simple et des ingrédients faciles à trouver. Des recettes qui gardent un goût intéressant tout en allant un peu moins loin que nous en cuisine »

Chaque recette est accompagnée d’un accord de vin proposé par Hervé Durand, de la cave Carnets de vins, spécialisé dans les vins « propres », autrement dit « honnêtes et respectueux de l’environnement, cultivés en bio et vinifiés sans levure ».

160 pages composent ce bouquin assez dense, alternant les recettes avec des petits reportages généreusement photographiés, sur des sujets ultra locaux : chou de Lorient, Kari Gosse, associations, producteurs… Jolis produits, circuits courts, ces chefs les connaissent tous, ces producteurs éthiques, et fouinent chez eux comme une fashionista excitée dans un charity shop.

Pour Xavier Dubois, « On fait de l’ethnographie culinaire, plus que des livres de cuisine. L’idée, c’est de parler du territoire et de la tradition culinaire en même temps. C’est un regard de Bretons sur la Bretagne. Nos lecteurs retrouvent des gens qu’ils connaissent sur nos photos ! »

breizh food

Enfin, le troisième livre, Breizh Food, qu’on a découvert en toute fin de rencontre avec l’équipe, est tout juste sorti, et c’est peut-être celui qui nous a le plus séduites, pour son côté punk.

Une maquette punchy, signée Blandine Prigent, et surtout, un principe très chouette : chaque recette est déclinée de deux façons. Au recto la recette classique, au verso, la version déstructurée. Docteur Jekyll et Mister Hyde, quoi. Rien que pour le plaisir de voir comment les gars ont imaginé réinventer des plats qui constituent la base de la tradition bretonne, c’est déjà rigolo à lire.

L’exercice a été confié à deux chefs du Cinquante, à Groix, Quentin Mézière et Jean-Louis Farjot. 170 pages conçues sur le même principe que le précédent (recettes et reportages/portraits) dans lesquelles on découvre les coquilles Saint-Jacques poêlées, et leur côté obscur, les nuggets de Saint-Jacques et mayonnaise au Kari Gosse, comme un fish & chips ; la galette saucisse versus un roulé de blé noir farce de légumes et volaille ou encore les crêpes au sucre métamorphosées en chips à tremper dans un dip de citron !

 

En vente (de 19 à 28 €) dans les librairies bretonnes et sur le site internet de la Nouvelle Bleue

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