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La Ville en partage. Emma Burr

Elle aime la ville et la dessine comme personne, avec un mélange unique de poésie et de rigueur. Lignes de fuite, blancs impeccables, et touches de couleur comme des coquelicots inattendus, Emma Burr, la British, vannetaise de coeur, a croqué sa ville dans une exposition originale, mise en valeur par l’écrin 17e de l’Hôtel de Limur.

Ils sont une centaine, délicatement exposés parmi les boiseries de l’Hôtel de Limur par la grâce de la scénographie d’Eric Morin, subtil architecte des grandes expositions dans l’Ouest : Musée départemental breton à Quimper, Hangar à bananes à Nantes, Fonds Leclerc à Landerneau… On retrouve sa patte,
respectueuse, sensible, épurée, dans la petite conversation qu’il a instaurée avec le classicisme du lieu, ses lattes de bois clair pour tenir les grands dessins d’Emma, ses pyramides de papier pour raconter les histoires, dans un abord manifestement gourmand de typographie bien balancée.

Voir le beau sous son nez

On part alors en promenade dans la ville, au gré du regard curieux qu’a posé Emma sur les lieux, affûté comme celui d’une chasseuse de grives : « J’ai travaillé d’après photo parce que je voulais dessiner en grand format, ça n’aurait pas été possible sur place, et à chaque fois que j’arrivais sur un lieu il fallait que je trouve quelque chose. Que je repère les détails, les petites choses ». Au collège Saint-Exupéry, le soleil frappe sur les lettres du portail, les dore d’un reflet citronné, elles prennent tout le premier plan, magnifiant ce lettrage bâton, typique des établissements scolaires. Parce que ce qu’Emma voit, c’est l’ordinaire magnifique, transfiguré dans ses cadrages cinématographiques, qui repèrent le beau dans le banal. Un vrai bonheur des yeux pour qui se glisse à sa hauteur pour suivre la trajectoire de son regard, qui trouve directement la perspective, la bonne hauteur, l’angle parfait, qui magnifiera la composition. Et la ville devient alors un réservoir inépuisable de beautés insoupçonnées, comme une cueillette de champignons en compagnie d’un mycologue chevronné, révélant la girolle et la pleurotte à nos regards aveugles…

Aimer le blanc plus que la couleur

Côté technique, on retrouve ses fondamentaux, cette fonte du dessin dans le blanc de sa page ; son caviardage des arbres, où elle remplace les frondaisons par du blanc – jouant sur l’absence et la disparition ; sa facétieuse façon de mettre en avant une chose, une seule, parfois même une toute petite, tellement anodine et pourquoi celle là et oui pourquoi pas ce bout de toiture, cette enseigne de cinéma banale, ho, là, la minuscule goutte rouge d’une carotte de tabac, cette couleur qui nous réjouit comme l’incursion de la poésie dans le gris du dessin, comme un cadeau à nous rien qu’à nous. Crayons de couleur, crayon à papier, pastels, fusains, aquarelle, tout nous plait, on aime tout d’Emma, qui nous fait voir le monde comme elle le voit elle. Beau.

Un projet de ville

La ville en partage s’inspire d’un projet déjà mené en 2015 à Lorient par Emma Burr : La ville dessinée. D’octobre à décembre 2017, l’artiste a disséminé dans Vannes et ses quartiers des plans vierges que les habitants ont annotés avec force flèches et commentaires, identifiant les lieux qu’ils aimaient. 1000 inscriptions ont été portées, concernant 350 endroits différents. Emma en a retenu 100, classés par thèmes, et accompagnés dans l’exposition par un film de Bettina Clasen, un documentaire qui écoute avec douceur et délicatesse les souvenirs et les coups de cœur des habitants pour tel ou tel coin, répondant à la question « Quel est le lieu que vous souhaiteriez nous faire découvrir et partager ? ». Et ça nous émeut, ces réponses, toutes emplies de petites choses, banales et touchantes, uniques et belles. Comme celle de Mathilde, 18 ans : « Mon endroit préféré, c’est un petit passage qui se trouve au-dessus d’une rivière dans le quartier de la Madeleine (…) Donc en fait, tous les matins, je vais à pied au lycée (…) et après j’arrive sur une avenue pleine de voitures, encombrée (…) Et sur ce petit passage quand on regarde autour de soi on voit une clairière avec un énorme saule pleureur (…) On n’entend plus les voitures, on entend juste les oiseaux (…) C’est un moment très magique où tout s’éclaire, tout s’illumine (…) Il me reste vingt minutes à pied, mais ces deux petites minutes, elles sont magiques ».

ISABELLE NIVET

> Compléter la lecture avec des images qui bougent, sur le site de nos copains de KuB, webmédia breton…

 

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