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Le transport à la voile peut-il décarboner la vie ?

Par Raphaël Baldos. 09/05/24

Le saviez-vous ? 85% de tout ce qu’on achète en Europe descend d’un cargo. Pas top pour le climat, car le transport maritime utilise massivement du fioul lourd ultra polluant. Dans ce contexte, des petits malins ont eu la drôle d’idée d’utiliser le vent pour propulser leurs navires. De là à bouleverser le commerce mondial ? Ben voyons-ça.

 

 

Du vent gratuit

Le transport maritime fait beaucoup pour notre quotidien. C’est lui qui égaie notre cuisine avec du café, du chocolat ou des bananes. Lui qui remplit nos placards de vêtements fabriqués au Pakistan ou en Turquie. Lui encore qui nous permet de culpabiliser à mort d’acheter des jouets made in China, mais que l’on continue d’acheter quand même. 85% des importations et exportations européennes arrivent ou partent par la mer.

Mais le transport maritime fait aussi beaucoup pour la pollution, avec son fioul lourd bien dégueu. Il représente à lui seul 7 % de la consommation mondiale de pétrole et près de 3 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, avec environ 940 millions de tonnes de CO2 par an, selon l’Organisation maritime internationale.

Dans ce contexte, construire des navires à voile pour transporter les marchandises qui circulent sur la planète bleue ne semble pas totalement délirant : d’ailleurs, c’est ce qu’on a fait pendant des siècles avant l’invention de la machine à vapeur puis le moteur thermique ! Le transport à la voile, c’est cool : avec du vent gratuit, il permet d’atteindre des niveaux importants de décarbonation, allant jusqu’à 80% (oui parce qu’il faut toujours un moteur pour entrer et sortir du port, et parce qu’il n’y a pas toujours de vent).

 

Atermoiements

Dans le commerce des produits bio, un obstacle de taille se dressait devant tous les projets de transport à la voile en Bretagne : les trois grands ports de Brest, Lorient et Saint-Malo n’étaient jusqu’ici pas autorisés à décharger des produits bio. Ce qui avait conduit l’entreprise bretonne Towt à déplacer ses activités au Havre, en Normandie. Après pas mal d’atermoiements entre les administrations, la Région Bretagne bataillait depuis deux ans avec de nombreux services de l’Etat pour que ces trois ports puissent accueillir de bateaux chargés de produits bio. Le 28 mars dernier, victoire ! La Région annonçait l’ouverture de points de contrôle « d’ici au 1er janvier 2025 ». Le port de Lorient devrait en être le premier bénéficiaire à partir de 2025. « Cet agrément bio va permettre de projeter vers l’avenir notre port de commerce, de développer de nouvelles lignes maritimes et de satisfaire les besoins de la filière agricole », s’est réjoui, dans un communiqué, le maire de Lorient, Fabrice Loher.

En France, plusieurs entreprises ont le vent en poupe – l’expression est carrément bienvenue ici – et transportent déjà des marchandises à la voile. C’est le cas de Grain de Sail, une entreprise située à Morlaix, dont les deux voiliers traversent l’Atlantique avec du vin bio, du café et du cacao. Ou encore de Zéphyr et Borée, qui a conçu le Canopée, un navire pensé spécifiquement pour déplacer les éléments de la nouvelle fusée Ariane 6 entre l’Europe et la Guyane. Lancé en juin 2022, le navire est équipé de quatre ailes verticales Oceanwings qui viennent épauler ses deux moteurs diesel, réduisant son impact carbone de 15% à 40% selon les conditions météorologiques.

 

Catamaran

Et puis il y a plusieurs navires en construction dans les chantiers navals. Towt (Transoceanic Wind Transport), l’un des pionniers français du transport à la voile – il affrète depuis dix ans de vieux gréements pour transporter des produits bio – construit actuellement deux goélettes de 81 mètres, capables de charger 1000 à 1100 tonnes de fret en vrac sur des palettes. Towt a même annoncé récemment avoir signé avec les Chantiers Piriou la construction de six nouveaux cargos à voile, avec une mise en service entre début 2026 et mi-2027.

La compagnie nantaise Neoline devrait de son côté mettre en service cette année son premier « Neoliner », un navire de 136 mètres de long d’une capacité de 5000 tonnes de fret et de 280 conteneurs. De son côté, la start-up Sailcoop construit un catamaran pour transporter 80 passagers entre le continent et les îles bretonnes.

« Le secteur est en train de se structurer en France. Une filière se met en place autour de l’association professionnelle Wind Ship. Il y a quelques semaines, le gouvernement a signé un pacte vélique avec les acteurs du secteur. C’est extrêmement encourageant pour réussir à garder l’ensemble des acteurs de la filière, du bureau d’études à l’armateur en passant par les équipementiers », observe Louise Chopinet, spécialiste du transport à la voile, et ancienne de l’entreprise lorientaise Windcoop, qui ambitionne aussi de construire un porte-conteneurs à voile.

 

Pacte vélique

« Ce pacte vélique constitue le signal déclencheur du changement d’échelle nécessaire à la consolidation d’un marché émergent et prometteur, se félicite, dans un communiqué, Lise Detrimont, déléguée générale de l’association Wind Ship. Notre ambition est de créer plusieurs milliers d’emplois dans ce secteur tout en économisant 1 million de tonnes de CO2 d’ici 2030 ».

Mais la France n’est pas seule, et d’autres pays, notamment en Asie, préparent eux-aussi leurs cargos à voile. L’enjeu est donc de réussir l’exploitation commerciale de ces navires.

« S’il n’y a pas de chiffre d’affaires, s’il n’y a pas de clients, ça ne marchera pas, car les investissements à rembourser sont colossaux, avertit Louise Chopinet. Tout le monde attend de voir ce que cela va donner, notamment avec Towt, qui a signé pour six nouveaux bateaux. Cet engouement des investisseurs me semble un peu démesuré. »

Le risque ? La constitution d’une bulle financière qui viendrait éclater sur la réalité du commerce du transport maritime mondial.

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Raphaël Baldos. Mai 2024

La rubrique « En transition » est entre les mains de  Raphaël Baldos, journaliste membre de l’ONG d’enquêtes journalistiques en Bretagne splann!

Un choix fait conjointement avec la Biocoop Les 7 épis, qui parraine la rubrique, dans l’intention d’aller voir un peu plus loin.

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