Les hostilités. Une compagnie en patrimoine
Par Isabelle Nivet. 3 octobre 2024
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Les Hostilités
Les Hostilités, c’est une jeune compagnie du Pays de Lorient qui s’épanouit sur un triptyque : la création de spectacles de théâtre, la médiation et l’organisation d’évènements incluant d’autres artistes.
Je ne résiste pas à l’envie de vous raconter une anecdote. Il y a… ouf, un certain nombre d’années, à la fin du festival Avis de temps fort, à Riantec, un blondinet dégingandé aux yeux bleus, me demande si je peux le déposer. Le garçon saute dans la Twingo, on se met à papoter, j’apprends qu’il fait du théâtre, qu’il s’appelle Léandre. Je fais des bonds : Léandre, quel prénom prédestiné pour le théâtre ! Léandre, l’amoureux éconduit de Molière dans Les Fourberies de Scapin…
Un certain nombre d’années plus tard, voici Léandre Larmet dans mon canapé, en compagnie de Salomé Rousseau, sa coéquipière. Ils se sont rencontrés il y a dix ans, ils en avaient 16, au Lycée Jean Macé, à Lanester, qui forme depuis des années des bataillons de jeunes comédiens. Salomé Rousseau a créé la compagnie avec l’idée de « faire se rencontrer des objets d’art vivant et des lieux non dédiés, « hostiles » au théâtre ». Le logo, une branche d’arbre qui sort d’une fenêtre, symbolise « la vie qui émerge dans des lieux en friche, oubliés. L’idée c’est de révéler le côté historique et d’approcher des sujets qui invitent au dialogue et à la réflexion… ».
L’aventure de Blockhaus Atlantique commence en 2011, Léandre travaille avec l’autrice Marie Gerlot, qui écrit le personnage d’un adolescent en s’appuyant sur lui. Après leurs études, Salomé et Léandre décident de reprendre le texte en le retravaillant pour l’adulte que le comédien est devenu. Une écriture poétique, l’esprit d’une tragédie, un travail sur les mots, c’est Léandre lui-même qui assure la mise en scène, assisté de Salomé. Il interprète le rôle de Jasper, face à Rosalyn Jones, qui joue Reinette. Deux amis d’enfance, qui ont pour terrain de jeu un blockhaus « Au moment du passage à l’âge adulte, ils se demandent s’ils doivent le quitter ou y rester pour toujours. Reinette veut tout casser, elle est fatiguée par son existence, une monotonie qu’elle demande à Jasper de briser ». La suite, la fin, peut s’interpréter de plusieurs manières, mais la beauté de la pièce, c’est de trouver les mots pour dire cette rage et cette désespérance de l’adolescence…
Cette pièce, je l’ai vue à la Grande Poudrière, à Port-louis, et j’ai été frappée par l’utilisation de la présence, mais aussi d’une forme de danse, en tout cas de déplacements chorégraphiés et d’un corps qui parle : « On a beaucoup travaillé le corps. L’adolescence est un âge critique dans le rapport au corps. Quand on était dans la phase de recherche, on a utilisé un mood board avec des images comme celle de « La vérité sortant du puits », la peinture de Jean-Léon Gérôme ; les danseuses de Flamenco ; la notion de « duende » comme un pouvoir mystérieux, évoqué par Federico Garcia Lorca, pour trouver cette espèce de rage qui s’empare d’un corps dans la danse, la corrida ; et la fureur et la pulsation du Sacre du printemps, mais on a aussi cherché la légèreté, en visionnant la scène du sac plastique dans American Beauty »
Cette pièce, ils l’ont pensée comme une expérience immersive, dans la chambre d’éclatement du K3, à Lorient. Un blockhaus qui leur parle d’héritage « patrimonial, intime » : « Cette cicatrice dans la ville fait partie de nos vies. Lorient c’est une ville où les fantômes de la guerre sont ancrés dans notre imaginaire. Nous voulons mêler le sensible et la grande histoire. On a cherché à faire des lieux un personnage, mais aussi parler à des gens qui ne vont pas au théâtre ».
Cette pièce s’insère dans une programmation globale, Spectres d’histoire(s) de la rade, que la compagnie a voulu « en miroir entre Lorient et Port-Louis » en faisant se répondre les esthétiques d’une rive à l’autre de la rade. Tout le programme, fait d’allers et retours par mer, joue sur la découverte artistique ou historique du site.
La première édition a eu lieu en juin 2023 : « Un parcours joyeux qui a reçu de super bons retours ! Avec un double objectif : ouvrir les portes de lieux de patrimoine et travailler avec des gens qui n’ont pas l’habitude de fréquenter les théâtres. L’évènement s’est articulé autour de notre création « Blockhaus Atlantique », dans une construction à laquelle on a voulu donner du sens, avec un fil de réflexion. Il y avait des choses très différentes : du théâtre, de la performance, de la musique, des expositions ; et ça a touché des publics très différents. Par exemple, il y avait beaucoup de gens du quartier Brizeux, parce qu’on a ouvert au Centre social la possibilité de participer à la programmation. « Spectres d’histoire(s) de la rade » recouvrait la complexité de l’identité de la compagnie dans l’idée d’aller plus loin, avec de la médiation, des artistes émergents, une porosité avec le patrimoine, le territoire… Et on a eu envie de pérenniser le projet en 2025 ».
Dont acte. On les retrouvera en juin 2024 avec un numéro 2, baptisé « Spectres d’histoire(s) de l’aqueduc », autour du fil de l’eau à Lorient, un trajet assez méconnu : « Au 18e siècle, la Compagnie des Indes a fait construire un aqueduc dont le terminus se situait dans le réservoir d’eau, au Péristyle. Des vestiges sont visibles au Parc Chevassu et au Parc du Manio. Ce trajet de l’eau, on a décidé de le suivre dans un trajet artistique avec plusieurs propositions : du théâtre, de la danse, des documentaires, une exposition, de la musique, des performances, des parcours, avec des partenaires comme C.A.M.P, J’ai vu 1 doc, la Galerie Le Lieu, l’Observatoire du plancton. Autour de l’eau, il y a de nombreux fils à tirer… »
Au centre de l’évènement, « Lavoir », la nouvelle création de la compagnie, écrite par Salomé Rousseau en 2022 : « Le point de départ, ce sont des recherches documentaires et des rencontres avec d’anciennes ou actuelles usagères, et celles et ceux qui, enfants, accompagnaient leurs mères au lavoir. Qu’est-ce que ça raconte de la société, cet espace social entre femmes, les liens entre femmes, la vie domestique, la société patriarcale, le patrimoine utilitaire. J’ai travaillé sur une écriture poétique issue de la retranscription de la parole ».
Une écriture au cœur de la compagnie, puisque les trois prochains projets de la compagnie s’appuieront sur des textes écrits par Salomé Rousseau « (Lavoirs ») ; Léandre Larnet (« Naufrage », un texte sur un garçon sauvage qui prendrait vie sur la plage, autour du thème de la marginalisation, la solitude, le double, l’insularité, lu à la Grande poudrière de Port-Louis cette saison sous le mentorat de Joël Jouanneau ; et enfin Rosalyn Jones, qui finalise un texte autour des mythes et légendes sur l’eau et les fontaines.
La compagnie les Hostilités, c’est Salomé Rousseau, Rosalyn Jones et Léandre Larnet (écriture, mise en scène, jeu), et Jules Conan (chargé de production). Les trois premiers ont débuté leur carrière par le cursus théâtre du lycée Jean Macé à Lanester
Le trajet de l’eau à Lorient.
Extrait des documents fournis par la ville de Lorient sur leur site. (Pour aller plus loin, clic ICI et LA)
« Au début du 18e siècle, l’architecte Jacques V Gabriel, prend en compte le problème de l’approvisionnement en eau potable. En 1732, il rédige un Mémoire sur les fontaines d’eau potable à construire à l’Orient. Il y désigne six sources ou fontaines pouvant alimenter un réseau dont il décrit la mise en œuvre. Les travaux sont entrepris par l’ingénieur Louis de Saint-Pierre à partir de 1736. Les eaux sont captées à l’ouest de Lorient, dans les quartiers actuels de Lanveur, Kerguestenen et Kerfichant. Une canalisation unique traverse la ville par la place Alsace-Lorraine et la rue des Fontaines pour aboutir dans l’enclos du port à un réservoir aménagé au nord de la place d’Armes, dans le jardin des Quinconces. »
« Spectres d’histoires» fait partie des projets primés par Fondalor.
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