
Les pesticides empoisonnent nos campagnes
Ah, la campagne et la bonne odeur des… pesticides ! Entre réglementation défaillante et paysans peu bavards sur leurs pratiques, les riverains d’exploitations agricoles naviguent à vue face aux risques des pesticides.
Conseils pratiques et témoignages pour ne plus subir en silence.
Pendant quinze ans, j’ai vécu à la campagne. Tranquillité bucolique, air pur, légumes du jardin… Sauf que parfois, quand le vent soufflait dans la mauvaise direction, je me retrouvais avec les yeux qui piquaient et une odeur chimique dans les narines. Bienvenue dans la réalité des riverains d’exploitations agricoles. Cette réalité, le Collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest la connaît bien. Depuis 2015, cette association de 600 adhérents accompagne ceux qui ont payé le prix fort de notre modèle agricole : 260 personnes ont déjà été reconnues comme victimes d’une maladie professionnelle.
Marie-Thérèse Gilet, assistante maternelle à domicile, à Villeneuve-en-Retz, au sud-ouest de Nantes, a développé un myélome multiple après des années d’exposition involontaire. Sa maison est milieu des champs, au centre du ballet des pulvérisateurs. Avec son mari, elle s’est engagée dans un bras de fer avec l’Assurance maladie pour faire reconnaître son cancer comme maladie professionnelle liée aux pesticides. Une démarche inédite en France.
Car le problème dépasse largement les agriculteurs. Les études le montrent : plus on habite près des zones traitées, plus le nombre de malades augmente. Les riverains développent les mêmes pathologies que ceux qui épandent : Parkinson, cancers de la prostate, lymphomes, troubles neurologiques. Signe des temps, les médecins prennent désormais l’initiative de parler à leurs patients du Collectif. Même certains agents de la Mutualité sociale agricole (MSA) orientent discrètement leurs assurés vers le Collectif. Résultat : l’association reçoit des appels de toute la France.
Alors, concrètement, comment se protéger ?
Rentrer le linge quand les tracteurs passent, fermer les fenêtres, installer une haie dense. Planter un anémomètre pour connaître la force du vent (les traitements sont interdits au-delà de 19 km/h)
« Malheureusement, la réglementation ne nous protège pas. Cinq mètres de distance pour les cultures basses, comme du blé, dix pour les hautes, comme des arbres fruitiers : c’est dérisoire quand on sait que les pesticides se dispersent sur des kilomètres. Pour connaître les produits utilisés près de chez vous, c’est le parcours du combattant. La grande majorité des agriculteurs refusent de communiquer les produits qu’ils utilisent. Ils se défendent en prétextant qu’ils utilisent des produits autorisés », déplore Michel Besnard.
En cas de problèmes de santé, plusieurs recours existent.
• D’abord, contacter PHYTOREPONSE (0 805 034 401 en Bretagne), dispositif officiel qui centralise les plaintes.
• Ensuite, constituer un dossier : constats d’huissier, certificats médicaux, témoignages de voisins. Le Collectif propose un modèle de courrier type et accompagne les démarches.
• Pour les professionnels malades, le Fonds d’Indemnisation des Victimes de Pesticides (FIVP) facilite désormais les procédures. Mais pour les riverains, c’est plus compliqué. Pas d’indemnisation spécifique, il faut prouver le lien direct entre exposition et maladie – mission quasi impossible.
Le problème, c’est aussi la proximité. « Personne n’a envie d’être fâché avec ses voisins », rappelle Michel Besnard. « L’agriculteur qui nous envoie ses pesticides, ça peut être un parent d’élève, ça peut être même quelqu’un de la famille. »
La procédure civile reste possible : obtenir des dommages-intérêts pour trouble anormal de voisinage. Ou la voie pénale si l’agriculteur n’a pas respecté les règles d’épandage. Le Collectif a d’ailleurs remporté plusieurs dizaines de procédures, notamment la reconnaissance des tumeurs cérébrales et la démence à corps de Lewy, une maladie se caractérisant par des troubles cognitifs d’évolution progressive et fluctuante.
Dans tous les cas, mieux vaut ne pas rester seul face aux géants de l’agro-industrie. Au minimum, le Collectif conseille de négocier un préavis : « Qu’ils vous informent avant de venir traiter, afin de pouvoir rentrer les enfants, le linge, et fermer les fenêtres. » Là encore, c’est difficile : en quinze ans, je n’ai jamais réussi à obtenir cette simple information de mon voisin agriculteur.
Mais des voix s’élèvent de plus en plus. Le Collectif organise des pique-niques militants, informe les médecins, interpelle les élus. Son message ? Ces drames ne sont pas une fatalité. D’autres modèles agricoles existent.
Alors si vous vivez près des champs, restez vigilants. Notez les dates de traitement, photographiez les dérives, prenez soin de votre santé.
Et surtout, n’hésitez pas à vous faire entendre : le silence est aussi un poison.
RAPHAËL BALDOS
Contact : (Collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest) :
victime.pesticide.ouest@ecosolidaire.fr
La rubrique « En transition » est entre les mains de Raphaël Baldos, journaliste membre de l’ONG d’enquêtes journalistiques en Bretagne splann!
Un choix fait conjointement avec la Biocoop Les 7 épis, qui parraine la rubrique, dans l’intention d’aller voir un peu plus loin.

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