L’histoire vraie de mon oncle de Prague. Marta Morice
29 mai 2025. Isabelle Nivet

Cette semaine, j’ai passé un long moment avec la plasticienne Marta Morice, dont j’ai souvent parlé ici. Aquarelles abstraites, parfois subtilement figuratives, elle fait partie de ces gens qui cherchent, mais cette fois, ce n’est pas pour son fuchsia ou son citron qu’elle est là, mais pour une bande dessinée, « Rozvědčík » (« L’agent »), parue courant 2017 en Tchéquie.. Penchées toutes les deux sur ce petit livre, autour d’un café et d’un thé matcha, Marta m’a raconté l’histoire. Beaucoup de détails et de noms, arriverais-je à le résumer ?
Dans les années 70 en Tchéquie, Marta est une petite fille qui porte les vêtements de ses cousines, jeans pattes d’eph, sweats colorés, venus des États-Unis, récupérés grâce à un arrière-oncle qu’elle n’a jamais vu, mais dont elle entend parler. Dans sa famille on dit « ambassadeur aux États-Unis », en réalité, Miroslav Polreich est « Premier secrétaire de la mission tchéquoslovaque aux Nations Unies, à New-York ».
Dans les années 90, Marta est dans sa chambre, sa grand-mère l’appelle : « Viens voir, Miroslav passe à la télé ! ». Voilà le peu qui existe entre Marta et cet oncle d’Amérique, en trente ans. Jusqu’en 2003, aux obsèques de sa grand-mère, Marta, qui vit en Bretagne, rencontre son oncle mythique. Il écrit pour un journal en ligne, elle lit ses articles sur la situation internationale, la politique. Elle s’intéresse à lui. Six ans plus tard, alors qu’elle est en résidence dans un EHPAD où elle interroge des personnes âgées sur leur vie, elle se dit qu’elle « doit quelque chose à (sa) famille, à (son) oncle de 80 ans. Je veux rétablir sa place dans l’histoire tchèque. ».
Marta se met alors à lire des bandes dessinées historiques, elle veut en écrire une sur ce destin qu’elle pressent pas ordinaire. Elle revoit Miroslav lors d’une réunion de famille, ils se parlent en visio, elle lui propose son projet. Et il dit non : « En Tchéquie en 2011, la bande dessinée c’était pour les enfants, ou alors des Comics ». Alors en 2012, Marta invite Miroslav à Lorient, l’emmène chez Coccibulle, l’installe devant une pile de livres – notamment devant une version dessinée du capital de Marx – et parvient ainsi à le convaincre. « C’est un nouveau medium que j’ai ignoré », reconnait-il.
Commence alors une longue période de recherches, pour Marta, qui se prend au jeu. « Il n’avait pas de photos de son époque à New-York, et toutes ses actions étaient secrètes. J’ai utilisé des photos trouvées dans des bibliothèques, des archives, des albums de famille… ».
Puis arrive le moment de moment de rentrer dans la conception du livre. Marta n’a jamais fait de bande dessinée, elle reçoit les conseils d’un spécialiste, le lorientais Younn Locard (Auteur avec Florent Grouazel de « Révolution ») et elle se met au travail à l’encre de Chine : « J’avais un stock de papier A3 jaune, recyclé de l’école maternelle. Je l’ai plié en deux et j’ai commencé à dessiner dessus : un format A4, pour la Tchéquie, il fallait rester classique et traditionnel, il existait peu d’expériences de roman graphique là-bas. Ce serait aujourd’hui, je ferais quelque chose de plus déstructuré ou plus abstrait, plus en phase avec mon travail personnel ! Mais l’album a été vendu à 1000 exemplaires, ce qui est beaucoup là-bas, et continue à se vendre. Il y a eu des expositions et j’ai fait plusieurs visites commentées.».
Miroslav Polreich est né en 1931. Fils de l’un des membres fondateurs du parti communiste en Tchéquie, il y entre lui aussi à l’âge de 16 ans. Jeune marié, il est recruté par les renseignements pour mener un travail de relations à Washington, où il travaille à l’ambassade, puis à New-York pour une mission aux Nations Unies, tandis que sa femme travaille à l’université de Columbia. Le couple s’intègre et rencontre des politiciens, des agents de la CIA, dans un environnement où tout le monde mène un double-jeu. Engagé pour le désarmement et après avoir joué un rôle décisif dans le sommet de Glassboro en 1967, Miroslav rentre à Prague et continue à œuvrer pour la paix.
POUR ALLER PLUS LOIN DANS CETTE THÉMATIQUE