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Mendelson. Pascal Bouaziz
Les heures.

Par Olivier Dalesme. 14 avril 2022

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54 minutes et 24 secondes. C’est une expérience limite. Ça s’appelle « Les heures ». Un trip ultime. C’est un morceau de musique, on n’ose pas dire une chanson, tant le format est démesuré et la forme différente de ce que vous connaissez sous ce nom. Ça parle de dépression. Littéralement « personne » n’a jamais écouté cet objet sonore particulier. C’est construit sur une musique sombre, lente et angoissante, un lacis de guitares saturées et de sons électroniques abrupts et stridents. 4416 écoutes sur Spotify au 11 avril 2022, autant dire que dalle pour un titre d’un album sorti en 2013. C’est écrit à la deuxième personne, du point de vue intérieur du narrateur, qui se parle à lui-même et qui ressasse et ratiocine sur son mal être. De toute façon, il est à peu près certain que la plupart des quelques personnes qui ont commencé à écouter « Les heures » ont vite abandonné devant l’ampleur de l’investissement auditif nécessaire et ne sont pas allées jusqu’au bout. Le locuteur ne chante pas, il décrit d’une voix blanche et lente son état et les pensées mortifères qui envahissent sa tête. Le morceau est inséré sur le disque central d’un triple album très « exigeant » d’une durée totale de 2h20 et qui ne prend même pas la peine de porter un titre. Juste le nom du groupe : Mendelson. Le texte est dense et long, très littéraire. Un immense monologue, qui décrit de manière parfois extrêmement détaillée des sensations violentes et qui part souvent dans des considérations complaisantes, à la limite du délire. Je ne connais rien qui puisse s’approcher un tant soit peu de cette chose dans la chanson française, rien non plus dans la musique actuelle, le rock ou d’autres chapelles. Il faut bien comprendre qu’à l’écoute des « heures », on se retrouve projeté dans un univers violent, étouffant, probablement une des descriptions les plus complètes et précises de ce qu’est la dépression profonde.

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Mendelson vient récemment de se saborder, à l’automne 2021, en publiant un septième album, pertinemment nommé : « Le dernier album ». Le groupe existait depuis 25 ans. Il n’a jamais rencontré le succès, malgré les qualités évidentes de la musique et surtout des textes, écrits par son leader, Pascal Bouaziz. Dans la première chanson, « Le dernier disque », Bouaziz décrit lui-même, avec un humour consommé, le statut de son groupe au sein de la scène rock indépendante française : « Mendelson, groupe obscur, inconnu, mythique, culte … mon cul ». Signés au mitan des années 90 sur le label Lithium, à la suite de Dominique A. et de Diabologum, sous une forme de duo, ils sortent en 1997 un album étrange et intimiste, aux tonalités folk, au titre en forme de lieu commun : « L’avenir est devant ». A l’époque, Mendelson est promu dans la presse rock indépendante comme un des groupes les plus prometteurs du moment. L’album ne se vendra qu’à quelques milliers d’exemplaires. Par la suite, Bouaziz sortira des albums d’un autre genre, un rock abrasif basé sur les guitares, et des textes centrés sur la vie médiocre des petites gens, sur la banlieue, oscillant entre misanthropie, humour cynique et description réaliste, sociologiquement affutée, du monde réel. Trois albums de plus en plus longs verront le jour entre 2000 et 2008, pour aboutir finalement à ce 5e album, où Bouaziz poussera sa logique d’écriture au bout.

Sans titre, donc, un triple album extrêmement austère et sombre, construit sur des musiques minimales, une trame électronique souvent dissonante, des textes désespérés et des titres étirés dans le temps. Une œuvre exigeante et difficile, qui, globalement, s’applique à décrire « La banalité quotidienne du mal », titre du premier morceau de l’album. Une expérience limite, répétons-le, que vous ne ferez probablement pas le choix d’écouter. Ce dont nul ne pourra vous blâmer, notez-le bien. Déjà que vous avez fait l’effort de lire cette chronique, il ne faudrait pas non plus trop vous en demander. Cependant, si vous êtes un peu courageux.se, si vous avez envie de vous confronter à un travail original et important, si vous avez envie de découvrir un vrai chef d’œuvre inconnu – encore un – du rock français, ça vaut peut-être la peine de vous infliger cet album ; a minima pour tester vos capacités à écouter une musique vraiment bien plus déprimante que tout ce que vous avez pu écouter jusque-là.

Bon. Restez calmes. Tout va très bien se passer. Vous allez entendre, pas plus. Ça fait tellement du bien parfois de se faire un peu de mal. Sortir de sa zone de confort, souffrir pour être heureux, toussa. On prend une grande respiration et

On s’est permis de relayer cette photo extraite du site de Mendelsonhttp://mendelson.fr/

STOP ME IF YOU’VE HEARD THIS ONE BEFORE
est un cadeau rock écrit par Olivier Dalesme pour Isabelle Nivet et Sorties de secours.

 

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