• et un clic là
CHAMP

Des semences paysannes contre les NGT, les nouveaux OGM.

Par Raphaël Baldos. 21/03/24

 

Les industriels de l’agrochimie tentent actuellement d’introduire les NGT, de nouveaux OGM, en Europe. En face, les acteurs de l’agriculture bio se mobilisent pour favoriser des semences paysannes, adaptées aux sols bretons et résistantes au réchauffement climatique.

 

Une paire de ciseaux moléculaires. C’est tout ce qu’il faut à nos chers industriels de l’agro-industrie pour confectionner de nouveaux OGM. Grâce à cet outil inventé en 2012 par les chercheuses Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna, prix Nobel 2020, les semenciers industriels peuvent modifier le génome d’une espèce vivante sans introduire d’ADN étranger. Une technique très différente des OGM classiques, obtenus par « transgenèse », c’est-à-dire l’introduction d’un ou plusieurs gènes d’une autre espèce.

 

Appelées NGT, pour new genomic techniques, en français « nouvelles techniques génomiques », ces méthodes « permettent de modifier le matériel génétique d’un organisme », explique le site du ministère de l’Agriculture. Avec les NGT, on peut donc découper, inactiver et modifier de façon précise les morceaux d’ADN. L’objectif, selon leurs promoteurs, est de produire des plantes plus résistantes face aux maladies ou au dérèglement climatique. Mais avec le risque d’engendrer des erreurs génétiques, notamment « des risques liés à une modification inattendue de la composition de la plante pouvant générer des problèmes nutritionnels, d’allergénicité ou de toxicité, ou de risques environnementaux à moyen et long terme, comme le risque de flux de gènes édités vers des populations sauvages ou cultivées compatibles », explique l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) dans son avis du 22 janvier 2024 sur « les risques et enjeux socio-économiques liés aux plantes NTG ». Dans une seconde expertise du 6 mars dernier, l’Anses recommande d’évaluer « au cas par cas » les plantes issues des nouvelles technologies génomiques, avant toute mise sur le marché. « Le référentiel actuel d’évaluation des risques sanitaires et environnementaux des plantes génétiquement modifiées n’est que partiellement adapté à l’évaluation de ces nouvelles plantes », précise-t-elle.

CHAMP

Ces risques, pourtant, sont niés par le gouvernement français. Dans une déclaration plutôt alambiquée, Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture, a déclaré, le 11 décembre 2023, à son arrivée au Conseil de l’Union européenne : « On a besoin de ces technologies. On ne peut pas à la fois porter la volonté de transition, la volonté d’avoir à disposition du matériel végétal permettant à la fois de réduire l’utilisation des pesticides et avoir du matériel végétal qui permette de lutter contre les effets du dérèglement climatique, c’est à dire qui résiste mieux à la sécheresse, à la chaleur, et ne pas se doter d’un outil qui est en train de se multiplier dans le monde avec des clauses de sécurité ».

 

Au Parlement européen le 7 février, les députés ont approuvé une proposition qui assouplit les règles pour certaines variétés de végétaux issues des NGT. Celles-ci seraient exemptées des exigences prévues pour les OGM : évaluation des risques, procédure d’autorisation de mise sur le marché, méthodes de détection appropriées, obligation de traçabilité et d’étiquetage. Il reste cependant du chemin avant que ce texte soit approuvé par les Etats membres, divisés sur la question.

 

En Bretagne, et notamment dans le pays de Lorient, l’arrivée des NGT préoccupe de nombreux acteurs de l’agriculture. Le 22 janvier, Graines de liberté, Biocoop, la Confédération paysanne ou encore les Faucheurs volontaires ont demandé au Conseil régional de se positionner sur la question. « Nous avons interpellé la Région pour qu’elle demande au gouvernement et au parlement européen de refuser l’adoption de ce nouveau règlement, et de s’engager à mobiliser l’ensemble des acteurs pour faire de la Bretagne un pôle européen leader de la biodiversité cultivée », explique Julien Hamon, porte-parole de la Confédération paysanne.

 

Pour Graines de liberté, une société coopérative d’intérêt collectif qui finance la production de graines végétales adaptées à l’évolution du climat, cultivées en Bretagne et reproductives par des maraîchers, ces NGT servent surtout les intérêts financiers des semenciers industriels. « Aujourd’hui, tous les plus gros de la pétrochimie ont fusionné avec les producteurs de semence, explique Emmanuel Antoine, son président. Bayer a racheté Monsanto, ChemChina a acquis Syngenta par exemple. Ce sont devenus des géants qui non seulement proposent la semence, mais aussi tout le protocole de culture qui va avec. Les intérêts financiers sont absolument colossaux. Et leur objectif, derrière la technologie, c’est la privatisation du vivant. »

 

Graines de liberté et les acteurs de la bio, comme la Biocoop Les 7 épis, se mobilisent pour informer le grand public afin que la semence reste un bien commun. « Les enjeux sont anthropologiques, pas uniquement agronomiques, souligne Emmanuel Antoine. L’espèce humaine entretient une relation avec de nombreuses espèces vivantes. Notre conviction, c’est que l’humanité peut évoluer s’il y a une meilleure compréhension de cette interaction, et non pas une négation de celle-ci »

Les scientifiques ont montré l’importance de la variété génétique pour le vivant, et des échanges inter-espèces. « Un individu n’est pas isolé, il est en relation avec d’autres espèces vivantes, notamment des insectes, mais aussi la vie microbienne des sols », ajoute-t-il.

A l’opposé des NGT, Graines de liberté soutient donc le travail de production et de sélection de semences libres de droits par les producteurs, afin d’obtenir des variétés adaptées aux sols de Bretagne, résistantes aux maladies et au réchauffement climatique. La coopérative finance l’achat de graines et leur stockage grâce à leur commercialisation et l’achat de parts sociales par le grand public. N’importe qui peut devenir associé, en prenant une ou plusieurs parts sociales (montant minimum 100 €).

 

Face aux lobbys industriels de l’agrochimie, qui ont leur rond de serviette dans les institutions européennes, les citoyens ont donc un rôle à jouer pour empêcher la privatisation du vivant. Ça tombe bien : les élections européennes auront lieu du 6 au 9 juin prochains.

PARTAGEZ

Raphaël Baldos. Mars 2024

La rubrique « En transition » est entre les mains de  Raphaël Baldos, journaliste membre de l’ONG d’enquêtes journalistiques en Bretagne splann!

Un choix fait conjointement avec la Biocoop Les 7 épis, qui parraine la rubrique, dans l’intention d’aller voir un peu plus loin.

POUR ALLER PLUS LOIN DANS CETTE THÉMATIQUE

 

x