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Richard III. Yoann Pencolé

11 avril 2025. Isabelle Nivet

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On a vu Richard III

Je vous en ai parlé plusieurs fois, de ce spectacle de Yoann Pencolé. J’ai croisé ma copine Isabelle à la sortie qui m’a dit « Ah c’est grâce à toi que je suis là ! T’avais dit que c’était LE spectacle de l’année ! C’était super ! ». Ah vrai dire, je ne me souvenais pas que j’avais écrit ça, mais je ne retirerais rien. C’est bien le spectacle de l’année.

Pfffouuuu, par où commencer ? Bon, c’est très beau, déjà, d’emblée, quand le rideau s’ouvre sur la cour du Roi Edouard, on en prend plein les yeux. Hiératiques, hautains, parés de mètres et de mètres de taffetas, de velours, de brocart, les personnages attendent que leurs manipulateurs viennent les animer, mais la présence de ces « marionnettes » – on oublie régulièrement que ce ne sont pas des comédiens – même immobiles, est puissante, dans cet étincelant concert de couleurs, bleu, brun, or, violet. Réalisés par Antonin Lebrun et Clara Stacchetti, ces avatars à taille humaine fascinent : des têtes, d’abord, un pur travail de plasticien, sculptées dans la mousse, dans une esthétique entre réalisme et illustration fantastique. Des corps, qui se plaquent sur ceux des danseurs-manipulateurs, ou s’érigent, posés sans souci de pieds ou mains : ce sont les tissus qui leur tiennent lieu de corps, ces kilos de tissus qui renvoient la lumière, remarquablement pensée.

 

D’ailleurs, qu’est-ce qui n’est pas merveilleusement conçu dans cette adaptation ? Rien. Tout est pensé, malin, signifiant : le son, qui amplifie les actions, la musique qui soutient la dramaturgie, le décor, fait de praticables qui décomposent et recomposent l’espace, la présence de la danse qui vient exprimer les émotions autrement, dans une respiration salutaire, la dramaturgie en elle-même, fluide et ponctuée par des trouvailles visuelles symboliques ou cocasses, et cette lumière qui permet de voiler, assourdir, amplifier ou tonifier les moments clé de l’intrigue. Des moment clés qui s’enchaînent sans débander : des cinq heures que dure habituellement la pièce, on est passé, grâce à une remarquable adaptation, à un peu moins de cinq heures. Comme le disait Achille Grimaud dans nos colonnes la semaine dernière, l’enjeu était de couper les redondances pour ne garder que le squelette de l’intrigue, et ça marche : on suit sans problèmes l’histoire de l’accession au trône de l’infâme Richard III, ponctuée de meurtres et de trahisons, dans des énergies qui résonnent intelligemment avec l’écriture de Shakespeare et laissent émerger le burlesque, bouffées d’air salutaires, dans ce long voyage d’ignominies sanglantes.

 

J’imaginais, durant le spectacle, Antonin Lebrun sur le chantier de ces marionnettes. Une de finie, allez, à la suivante… Combien y en a-t-il ? Une vingtaine ? Davantage ? Elles rentrent, sortent, et leurs visages non mobiles mais aux expressions marquées, font un contraste génial avec la figure grimaçante, au maquillage outré, de Richard III, joué par Antonin Lebrun lui-même, qui fait là une formidable composition, classique, mais extrêmement bien balancée, équilibrée, sans excès, très juste (si tenté que j’ai la moindre idée de la manière dont pouvait bien se comporter un tyran psychopathe en 1485). Jusque-là, mon Richard III préféré, c’était Laurent Poitrenaux, dans la version montée par Ludovic Lagarde, et il le restera, parce que Poitrenaux. Mais je me souviendrai de Lebrun, habité, présent, subtil, mouvant. Je me souviendrai aussi, longtemps, de la performance d’Achille Grimaud, qui enchaîne toutes les autres voix masculines, aux côtés de Katia Lutzkanoff qui interprète les voix de femmes. Passant d’un personnage à un autre, galvanisé, porté par l’intrigue et la présence de ces figures parfois gigantesques, c’est un plaisir qui n’est pas que celui de l’oreille, mais aussi du regard, sur sa tribune, derrière son micro de commentateur.

Projet ambitieux par sa forme et par sa distribution, spectacle total et hybride, Richard III est un pari, qu’on souhaite vivement à la compagnie de gagner auprès des programmateurs. En ce qui concerne le public, c’est déjà fait. Bravo, III fois bravo.

RICHARD III yoann pencolé sorties de secours

> Pour aller + loin

L’article que nous avons publié dans le magazine du 27 mars, en amont du spectacle…

C’est LE gros spectacle de l’année. Gros succès à Méliscènes, signé Yoann Pencolé, metteur en scène montant, avec des marionnettes réalisées par la pointure du genre, Antonin Lebrun. Richard III voit également le retour d’Achille Grimaud, que nous avons rencontré le mois dernier.

Achille, le Morbihan le connait bien. C’est ce gars qui rôde du côté de Pont-Scorff, conteur de formation, il a baigné dans tout un tas de projet autour de la voix et de l’image. Des collab avec pas mal d’artistes du coin, comme Gaele Flao, pour « Le rire du roi », un feuilleton radiophonique « Les compagnons de la peur », et plein de projets visuels avec la BAG (Bande à Grimaud). Une voix très particulière, un brin mordante, et sans doute est-ce un peu pour cela que Pencolé l’a choisi pour faire partie des interprètes de Richard III.

« Yoann et moi on se connaissait. Il avait adapté un de mes textes, j’avais fait une voix off sur le Manipophone, un cabaret de petites boîtes qu’il avait monté, et suite à ça il m’a appelé pour faire partie des porteurs de voix et travailler sur l’adaptation avec lui et Pauline Thimonnier, qui a une grande maîtrise de l’adaptation de romans pour France-Culture. On s’est mis d’accord sur le fait de garder la traduction faite par Jean-Michel Désprats. Ça nous importait d’avoir une forme de naïveté dans un langage qui soit imagé et facile à comprendre. Après on a taillé pour passer de cinq heures à une heure cinquante ! Comment garder la substantifique moelle ? Il y a beaucoup de longueurs dans la pièce, une soixantaine de personnages qui n’ont parfois qu’une phrase ! On a réduit à une vingtaine, en essayant de ne pas diluer ni perdre l’information dramatique. Découper, remodeler pour s’ajuster au plateau, plus d’un an de travail ! Yoann, c’est pas que la marionnette : il a fait des études d’histoire, il a la connaissance du vrai Richard III, il était capable de voir ce qu’il fallait garder… Shakespeare fait dire plusieurs fois la même chose de différentes manières et différents personnages : on a du faire des choix ».

En scène, ce sont des marionnettes en mousse sculptée sur une ossature bois, à taille humaine, aux visages singuliers, marqués, forts, des figures impressionnantes et très belles, avec des costumes travaillés dans le style de l’époque.

« Les marionnettes sont inspirées du Bunraku japonais au 17e siècle, où les porteurs de voix sont à jardin, les danseurs-manipulateurs au centre, et les musiciens à cour. Là, nous n’avons pas de musiciens et nous n’avons qu’un comédien visible – Antonin – qui joue le rôle (énorme et mythique, ndlr) de Richard III. Parfois, il pousse les manipulateurs et manipule à leur place certaines marionnettes dont il s’empare. Les porteurs de voix, eux, sont cachés jusqu’au torse et portent des gants (pour qu’on ne voit pas leurs mains), debout sur un praticable d’un mètre de haut, visibles de biais à jardin, et on se passe la balle. Nous ne devons être que des voix. J’incarne une vingtaine de rôles, et on fabrique les voix en direct. On a tous déjà fait du doublage avant, ce qui aide. Nous cherchons la connexion avec les manipulateurs et les marionnettes pour coller au plus près et interagir. Il faut que nous soyons très à l’écoute les uns des autres. C’est très collectif : on sent tous en même temps l’énergie à augmenter ou diminuer. Pour moi, j’essaye de m’oublier dans la marionnette et d’être le personnage : le fait d’être porteur de voix, à l’abri, partiellement caché, permet de faire son truc et de donner le maximum. Entre les porteurs de voix, c’est un « in & out » constant : tu dois jouer avec la distance mais aussi avec la personne à côté de toi. Je n’avais jamais vécu ça, construire et incarner en direct : on est tout le temps au taquet ! »

Des danseurs en scène, un dispositif peu courant, même si dans la marionnette contemporaine les manipulateurices jouent de leur corps pour rendre celui de la marionnette expressif.

« La danse est une respiration : elle crée des images de mouvement, une continuité. C’est un fil conducteur qui suggère des choses. La danse dit ce que ne peut pas dire le texte ; il n’y a jamais de redondances : on a donné aux danseurs des séquences de texte à interpréter par le corps, ce qui donne plusieurs niveaux d’interprétation »

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