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Rwanda à la poursuite des génocidaires. Damien Roudeau et Thomas Zribri

Par Morgane Thomas. Septembre 2023

rwanda à la poursuite des génocidaires

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Comme les légumes, la primeur a une saveur particulière, elle se savoure. Damien Roudeau m’avait ouvert l’appétit avec sa nouvelle BD, une entrée en résistance sur un propos pour le moins saignant. Il m’a proposé d’envoyer le livre en format PDF avant son édition, un joli pavé, bien copieux, de 184 pages. Evidemment je me suis jetée dessus, évidemment je n’ai pas tarder à ressentir acidité et amertume, évidemment la nausée m’a cueillie, évidemment j’ai eu du mal à digérer ce que je lisais.

 

Cet ouvrage n’est pas un livre de rentrée, il est un devoir d’histoire… A travers l’engagement d’un couple franco-rwandais, Alain et Dafroza Gauthier, les auteurs nous font revenir sur cette époque entre avril et juillet 1994, où près d’un million d’hommes, de femmes, d’enfants et de nouveaux nés ont été massacrés. L’on y constate une organisation morbide, planification scrupuleuse de génocide. Depuis 28 ans le couple recherche les responsables de cette horreur pour qu’enfin ils soient jugés. Ils retournent au Rwanda afin de retrouver les témoins rescapés. Dafroza Gauthier est elle même impactée, sa famille a été décimée. Elle souffre de recueillir des témoignages qui font écho à sa propre histoire. Pourtant, elle poursuit cette attention laborieuse, écouter le traumatisme pour qu’il soit entendu par la justice. En un sens une manière de redonner à ses proches leur intégrité. Un travail de résilience sûrement nécessaire pour pouvoir penser les plaies.

 

Le journaliste Thomas Zribi vient mettre en exergue l’ambivalence du gouvernement français lorsqu’il soutient les accords d’Arusha en continuant de soutenir les forces armées Hutu. Il dénonce l’opération Turquoise pendant laquelle les génocidaires ont pu tranquillement quitter le Rwanda pour venir se réfugier dans l’hexagone. La lenteur des démarches juridiques ralentit le moment des condamnations, presque 30 ans après le drame, très peu de tortionnaires ont été condamnés. Grâce à leur collectif des parties civiles pour le Rwandais, Alain et Dafroza Gauthier réalisent un travail de récolte que personne ne se donne la peine de réaliser. Néanmoins l’éradication a été telle que peu de Tutsi peuvent encore témoigner, les preuves restent maigres.

 

Damien Roudeau, quant à lui, met le dessin au service d’une cause. La densité de certaines planches, les couleurs par endroits saturées traduisent l’oppression, et le tragique de la situation. Les corps et les visages en filigrane rappellent sans cesse les disparus. Le nombre de portraits vient rendre hommage à la singularité de chaque être jeté aux chiens errants et aux charognards. Quand la beauté luxuriante du Rwanda est traduite en paysage, elle est immédiatement rattrapée par la lourdeur du propos. Comme une discordance, une dissonance qui nous remémore en permanence que sous les arbres il y des âmes.

MORGANE THOMAS

> 184 pages (Editions Les Escales). Préface Gaël Faye.

> Un documentaire du même nom est diffusé sur LCP

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