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Sébastien Wojdan. Sa nouvelle création « Blanc »

On a fait une vraie interview la semaine dernière. On s’explique : pendant le confinement, oui, on a continué à rencontrer des artistes, mais avec toujours ce truc flottant, cotonneux, cette incertitude de l’avenir, ce flou du demain devenu peut-être, ces œuvres en création dont on ne savait pas si elles allaient voir le jour, s’il était pertinent d’en parler…

Cette fois, avec Sébastien Wojdan, c’était du sérieux, il était en résidence, le spectacle était programmé, pour de bon, il existait, et lui il était là, et moi j’étais là, assise en face de lui, au milieu de ce plateau tout blanc, sur ce tapis de danse blanc sur lequel je n’osais pas marcher et lui il me disait « si si, y a pas de problème ». Et nous voilà commençant à papoter, tous réflexes d’intervieweuse chevronnée oubliés, partant dans une discussion moitié philo, moitié foutraque, plongeant Wojdan dans des abîmes de réflexion, dérouté par mes questions qui n’en étaient pas. J’avais perdu l’habitude de mener un entretien, à force de discuter sans fin avec mes copines des origines du blob ou de la pertinence de l’écriture inclusive. Dans cet article, on trouvera donc des bribes, des fulgurances, des virages, pour finir par l’allumage de matières inflammables dans une assiette…

Sébastien Wojdan, vous l’avez déjà vu, il crée, au sein du collectif Galapiat Cirque – une structure de production, de diffusion, de création – des spectacles où le cirque est une trame autour de laquelle se tissent des questionnements, des actes artistiques, du compagnonnage… Six fondateurs dans ce collectif, et quatre spectacles créés par Wojdan : Risque zéro, Marathon, L’herbe tendre, et Blanc, qui sera dévoilé le 8 octobre au Théâtre du Blavet. Un solo.

A ce stade, sur mes six pages de notes, trois sont déjà inexploitables, correspondant au moment où je commençais à me dandiner sur ma chaise : le propos est passionnant, certes, autour de la pratique circassienne, de la dramaturgie « ce qui relie la scène au public », de la notion de zone de confort, de l’exploit dans le cirque, du risque. Mais qui ne vous dira rien sur ce qui se passe en scène :  « des spectacles intimes qui parlent des êtres humains ». Wojdan parle du point de départ de Blanc : sa « peur d’avoir des maladies. Tu tires sur la ficelle et tu découvres des choses. Pas juste mon histoire. La peur de mourir, de la maladie, elle est chez beaucoup de gens. L’hypocondrie, c’est un point de départ, mais le spectacle n’en parle pas ». Ah merde. On croyait tenir un truc mais non : « Blanc, c’est sur le mal-être, mais c’est quelque chose de poétique, d’abstrait ».

Dans Blanc, tout est blanc, avec une scène remplie d’objets soigneusement disposés. « Pour moi, c’est comme un laboratoire où disséquer le vivant, l’observer, le juger et le punir. Ces objets, je vais les utiliser de manière décalée. Mon cirque, c’est ramener plein d’objets et m’amuser avec ça : je construis, j’agence les choses, les idées, les actes, en tentant de trouver une architecture, et le sens apparaît au fur et à mesure… Le vrai enjeu du cirque, pour moi, c’est de montrer notre partie cachée. Sur scène, je ne suis pas un circassien, je suis Monsieur Tout-le-monde, avec son quotidien, ses dérives, ses folies, ses obsessions, ses peurs, ses rêves… ».

Sur scène, donc, des objets, des actions – qui ont à voir de près ou de loin avec la pratique circassienne – mais surtout une pensée du monde qui sous-tend le propos. Avec Wojdan, impossible de savoir ce qui va vraiment se passer, mais il dit tout sur ce qui le nourrit et rend ses spectacles riches et profonds : « Tout dans la société est régi autour de nos peurs, pour contrôler. Tout ce que nous faisons est destiné à nous permettre de lâcher prise ».

La dernière chose qu’on va vous dire, elle a été longuement été débattue entre Wojdan et moi, pour savoir s’il fallait le dire ou pas, et nos deux personnalités, d’artiste et de journaliste, sont toutes entières dans nos positions. Pour se mettre dans un état (d’épuisement, de transe, de lâcher-prise, surtout) Wojdan, pour chaque représentation, va courir dix kilomètres avant d’entrer en scène. Pour lui, il ne fallait pas le dire, parce que c’est quelque chose qui sous-tend son travail, et il préfère que le public ressente quelque chose sans forcément comprendre. Je l’ai convaincu de l’importance de le dire en me plaçant dans la peau de la spectatrice et en expliquant quel plaisir j’aurais à voir cet épuisement, comment cela m’apporterait une clef de compréhension, et comment cela me connecterait à l’artiste, d’emblée. Merci de m’avoir levé le « off », Sébastien…

 

On a vu Blanc, de Sébastien Wojdan. Mise à jour

Là, on l’a vu. Et on s’est senti extraordinairement bien dans cet univers dans lequel il ne reste du cirque que le nom de son collectif, Galapiat cirque, et quelques couteaux. Un qualificatif qu’il pourrait laisser tomber, tellement il s’est envolé loin de quoi que ce soit qui pourrait avoir le moindre rapport avec le cirque, tout du moins dans l’imaginaire collectif qu’éveille ce mot. Même pas associé avec les qualificatifs nouveau, contemporain, poétique. Non, cirque dit chapiteau, cercle, hauteur, prouesse, chaleur, rouge, mais pas blanc. Blanc n’est rien de tout cela. Blanc est blanc. Blanc comme une salle d’op. Blanc comme une galerie d’art contemporain. Blanc comme une spirale du Moma. Blanc comme 2001 l’Odyssée de l’espace. Blanc comme un spectacle de danse Buto. Blanc comme Woody Allen costumé en spermatozoïde dans Everything You Always Wanted to Know About Sex. Blanc comme Fontaine de Duchamp. Blanc comme le Carré blanc sur fond blanc de Malevitch. Blanc comme une installation de Joseph Beuys, un happening de Fluxus.

 

Sébastien tu ne fais pas du cirque. Tu fais de la performance, des installations, de l’art contemporain, de la poésie, du cérébral, du corps, du conceptuel, de la transe, de l’état, des images. Du spectacle pas spectaculaire mais qui en même temps nous enveloppe, nous emmène, nous plonge avec toi, comme la pellicule de sueur qui recouvre ton corps. Nous sommes cette sueur. Nous sommes ton corps performatif et ordinaire. Nous sommes ton souffle même pas court d’avoir couru dix kilomètres avant d’entrer en scène. Nous sommes tes ratés et tes essais, tes errances et tes délires, tes pensées et tes peurs, ton cœur et ta tête, ta course pour t’oublier et pour nous oublier. Tout est clair. Tu es Marina Abramovic.

 

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