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Shuggie Bain de Douglas Stuart. Le Ken Loach du roman

Shuggie Bain de Douglas Stuart, aux éditions Globe, 489 pages. Une chronique de Morgane Thomas, septembre 2021
 
Se promener dans une librairie indépendante, à la rentrée littéraire, c’est un peu comme nager dans l’océan : je ne perçois pas les limites, mais c’est très savoureux. Je me suis laissée dériver avec les courants. En revenant sur la rive, j’ai plongé les mains dans le sable, et ai recueilli précieusement un coquillage. Mon magnifique roman-trésor est le destin du petit Shuggie, je vous laisse le soin de goûter l’eau de son Bain. 
 
La misère est une épaisse couche poisseuse qui colle à la peau, lovée dans un appartement étriqué, elle prend ses aises là où l’inconfort règne.
La misère se couche dans les bouches et creuse son lit dans un langage fleuri. 
La misère se mesure à la teinte laissée par la béance des dents tombées. 
 
Sous un camaïeu de crasse, Glasgow regorge de masses qui s’entassent et se tabassent. 
Vivre en Ecosse dans les années 80, c’est aussi quitter un quartier étriqué pour s’en aller flirter avec l’abandon de la périphérie, passer de l’étouffement au plus  sombre dénuement.
Telle est la vie du petit Shuggie Bain. 
 
La suie des mines fermées sous Thatcher s’immisce dans la pelisse, entre une mère et son fils.
Shuggie ne veut pas voir sa mère sombrer, il se colle à elle pour ne pas qu’elle glisse.
Sa sœur et son frère ont tenté avant lui de la distancer des sévices et de ses vices.
Mais ils ont dû, pour survivre, sauver leur peau triste.
 
Shuggie voit en l’homme, celui qui abime sa mère. Il repère chez elle que l’apparence d’une certaine dignité aide à se tenir et à tenir dans ce monde acerbe. Il va grandir, malgré lui, du côté de la féminité. Au cœur des mineurs machos de Glasgow, milieu étriqué bourré de préjugés, sa différence ne pourra jamais trouver une place tolérée… 
 
Shuggie Bain est un roman bouleversant d’authenticité, et de sincérité. L’auteur pourrait être au roman social ce que Ken Loach est au cinéma. Douglas Stuart écrit un roman, sûrement teinté d’expériences personnelles, il s’approche par ce livre au plus près des rapports qu’induisent la misère.
 

L’auteur

Douglas Stuart : Issu de Sighthill, un quartier de Glasgow, « dans une maison sans livre », harcelé dans son enfance, il passe une maitrise au Royal Collège of Art de Londres et devient modéliste pour Calvin Klein, Ralph Lauren, Banana Republic et Jack Spade. Il vit aujourd’hui au coeur de la grosse pomme, loin de l’Ecosse, il publie plusieurs nouvelles dans le New yorker, mais Shuggie Bain est son premier roman. 

 

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