Time Ball. Paroles de danseurs
Par Isabelle Nivet. Juin 2022
Time Ball est une initiative de CAMP, structure de programmation et diffusion artistique dans l’espace public, créée par Amélie-Anne Chapelain.
Time Ball, c’est un marathon de danse participative, emmené par des danseurs du Pays de Lorient, qui ont conçu des partitions en lien avec les lieux, dans les jardins de l’Hôtel Gabriel, à Lorient.
Nous avons passé du temps avec chacun des danseurs, et leur avons posé trois questions. Verbatim.
L’unisson, c’est quoi pour toi ?
Pauline Sonnic / Nolwenn Ferry (C’hoari) : Être centré sur soi. Pour arriver à la rencontre. Trouver un état commun, une même disponibilité, une même écoute de soi et des autres, avec chacun son histoire et son imaginaire.
Sabine Desplats (Les Passeurs d’Oz) : Quelque chose qui s’engage ensemble, dans une direction ou sur un rythme. Un élément commun qui domine l’ensemble. Une unité de quelque chose habité d’une multiplicité de choses.
Julien Boclé : Le collectif. Le partage. Se réunir. La culture hip-hop est différente des autres : on apprend par mimétisme, en regardant quelqu’un qui s’entraîne dans la même salle que toi, ou pendant les jams, en entrant dans le cercle de danse. C’est là que se fait le partage. La transmission est importante.
Fadil Kasri (Eskemm) : Un exercice courant dans notre travail d’enseignant. Quelque chose dont on cherche à sortir, qu’on cherche à travailler différemment pour aller vers le partage à un moment donné. Peut-être une transe.
Karine Le Bris (Eskemm) : Je pense à un son, un chœur vibrant, une sonorité chaude, puissante. Des souffles. Une respiration. Mais aussi des corps qui produisent quelque chose ensemble. L’unisson, il ne faut pas faire que ça. Cela doit rester un moment précieux.
Aëla Labbé / Stéphane Imbert (Lucane) : Un flux en commun. Pas forcément en même temps. Un élan commun, pas un rythme. Une intention. Quand la multiplicité des personnes, leur histoire, ce qu’ils sont, leur unicité, leurs différences, va vers l’unité, c’est l’unisson.
Inès Mauricio / Mackenzy Bergile : Vivre quelque chose ensemble dans un même espace géographique avec les mêmes consignes. Une harmonie macroscopique.
Astrid Le Jeune (Cie du Haut) : Je ne sais pas ce que c’est mais ça me pose la question de l’accordage. L’uni-son. Une seule voix. Comment ça s’accorde en créant un tiers émergent. Pas une fusion, pas un mimétisme, pas un clonage. Comment je prends ta place, tu prends la mienne et ça crée autre chose. Co-créer un commun.
Sandrine Hoff (DJ/Atypik) : Pouvoir être connecté tous ensemble au même moment et partager en symbiose.
Morvan Jegou (Kenleur) : Le partage et la mise en mouvement collective à travers le patrimoine dansé auquel tout le monde peut avoir accès. Simple. Ouvert à tous, sans limite de personnes. La voix du peuple. C’est chercher à faire émerger une expressivité corporelle avec ce qu’on est : l’individualisme au service du collectif. Ne former plus qu’un. Par le mouvement collectif, on se fait porter, on approche la transe.
Fabrice Dasse (Conservatoire de Lorient) : Ce que nous avons en commun. Faire groupe ensemble. Normalement, l’unisson, c’est tous faire la même chose en même temps. Dans une vision plus moderne, on peut être unis par une idée commune, une sensation, mais avec des gestes différents, des directions différentes, à différents moments.
Emilien Leveneur (DJ / La Soute) : Rassembler les gens de différentes communautés, de différents univers, peu importe leurs sensibilités ou leurs approches, parce qu’ils vivent au même moment la même chose. C’est à toi de les guider, comme un navire.
Katell Hartereau / Léonard Rainis (Le Pôle) : Faire collectif autour. Être ensemble, dans le corps. Être dans la même préoccupation corporelle, le même cadre, pour se mettre à bouger. Chercher en commun en prenant des chemins différents. Tendre vers une chose commune avec des corps différents. L’unisson existe depuis des centaines d’années. C’est quelque chose qui a moins d’intérêt, selon nous : une fois qu’on l’a découvert il n’y a plus rien, c’est pauvre. Pour nous c’est un code poussiéreux, de la vieille cuisine ! Mais c’est aussi quelque chose qui procure du bonheur quand on est un jeune danseur, et c’est bien pour apprendre à écouter les autres.
En quoi est-ce que les jardins du Péristyle t’ont inspiré ?
Katell Hartereau / Léonard Rainis (Le Pôle) : Le lieu est ici une difficulté. Ce n’est pas une inspiration, pas un moteur, alors que c’est justement quelque chose qui nous motive d’habitude. C’est complexe : c’est un lieu très structuré et diffus en même temps. Alors on a choisi d’en faire fi et de plutôt chercher à créer une communauté. L’espace du jardin – les carrés d’herbe – définit juste la jauge.
Pauline Sonnic / Nolwenn Ferry (C’hoari) : On a décidé de se servir du jardin, qui mélange la pierre et l’herbe. D’utiliser le végétal et le minéral. D’aller à la rencontre de la matière végétale par le toucher. Aller vers les éléments naturels pour créer un sentiment de partage.
Emilien Leveneur (DJ / La Soute) : Les lieux entrent systématiquement dans notre concept du DJing en concert. L’histoire et l’âme des lieux nous emmènent à chercher des sons ambiants inspirés par les lieux pour créer des conceptions sonores. Ici on est sur le domaine maritime, on utilise des bruits bruts de bateaux, de l’univers maritime, la faune et la flore, des éléments vocaux, comme des radios maritimes. Et on mixe avec de la techno, de l’électro.
Fabrice Dasse (Conservatoire de Lorient) : Lorsque nous avons fait la visite de la tour de la Découverte avec C.A.M.P, le guide qui nous a accompagné a parlé de « voir loin. Ouvrir l’horizon ». C’est resté dans mon esprit, et je suis parti de ça. Quand on est monté dans la tour, la route des marins, c’était ça. Du haut de la tour on découvre la ville, une cité, des gens, l’horizon, une perspective. Ça pose la question du regard, comment on le porte, et c’est cette qualité de regard que j’ai cherchée. Comme chez Odile Duboc : trouver une vision large, panoramique.
Astrid Le Jeune (Cie du Haut) : Je suis partie de l’histoire de la Time ball, comme outil pour mesurer le temps. Ce n’est pas un temps chronométré, mesurable. Ça parle de relativité, de flexibilité du temps. Je l’ai traduit par un duo qui va se relayer, à l’unisson, dont je serai le fil, sans imposer de temps, et Aude soutient et relaye la personne en train de danser. On veut laisser le temps à la danse pour se déployer.
Inès Mauricio / Mackenzy Bergile : Nos partitions sont toujours adaptées aux lieux. Là, ce sont les jardins, qui nous sont apparus comme des zones délimitées comme des zones de jeu. Les lieux viennent redéfinir les conditions chorégraphiques, ils donnent vie à une performance existante mais pas figée.
Sabine Desplats (Les Passeurs d’Oz) : Quand je suis arrivée dans le jardin, j’ai vu ces quatre pelouses et ces murs, qui m’ont attirée. L’idée de Time Ball c’est de transmettre une danse, et comment on la transmet et on la donne à voir : le mur a renvoyé la possibilité de corps agissant avec lui, et de tout ce que ça exprime par la présence, comment on voit les corps sur ce mur, de manière statique ou en mouvement. Les images qui se créent. Et puis le mur, en tant qu’objet, c’est quelque chose qui facilite l’entrée dans le mouvement, pour des novices.
Aëla Labbé / Stéphane Imbert (Lucane) : On a tout de suite vu les lignes de force de cette allée, cette travée, la géométrie : les deux parallèles et les escaliers qui permettent de faire une boucle, comme le mouvement perpétuel des fontaines. Pour nous c’est comme un couloir de marche.
Fadil Kasri (Eskemm) : On avait déjà investi et expérimenté ces jardins avec les « Hors-séries », avec la compagnie. Il y a un côté intime : c’est un lieu propice au spectacle vivant, avec ces quatre espaces d’herbe. Toute la découverte du Péristyle a été inspirante.
Karine Le Bris (Eskemm) : Time Ball, c’est le rapport au temps, et aux marées, qui m’a ramenée à l’une de nos pièces, appelée « Timing ». J’ai repris le principe d’un fil qui se déroule et se ré-enroule sans jamais tomber au sol.
Sur quelle idée est construite ta partition ?
Katell Hartereau / Léonard Rainis (Le Pôle) : L’unisson, justement. On est partis de ce qu’on ne voulait pas faire – ou ne savons pas faire – c’est-à-dire des unissons ! L’unisson est un fantasme. On a déjà essayé, on n’y arrive pas, ça ne nous convient pas. A chaque fois ça a été un ratage complet. Et pourtant, on se souvient encore de notre premier et unique unisson. Ici on a plutôt cherché le collectif : être unis, être ensemble, vers un même objet, plutôt qu’être pareil. On a l’expérience de la prise en charge du public : on sait provoquer le mouvement. Là, on veut qu’il comprenne petit à petit qu’il peut participer.
Morvan Jegou (Kenleur) : Pour nous, à la confédération, c’est toujours partager et vulgariser le patrimoine culturel, un pan de notre histoire que l’on fait vivre. La partition collective, c’est l’essence même de ce que nous sommes : nous nous faisons l’écho de choses du passé, nous transmettons, mais de manière non figée, des danses qui appartiennent à tout le monde. On veut transmettre dans la ronde des pas simples et anciens qui se développent en apprentissage collectif par imitation et réappropriation, et se transforment en variations. On veut mettre en mouvement une collectivité de tous âges et tous milieux : échanger, se toucher, sourire, prendre du plaisir sans savoir d’où on vient et qui on est.
Fabrice Dasse (Conservatoire de Lorient) : Il y a deux points de départ. Le premier, c’est cet extrait de Maurice Béjart (« Danser, c’est avant tout communiquer, s’unir, rejoindre, parler à l’autre dans les profondeurs de son être. ») en résonance avec l’unisson. Le second, c’est le travail que j’ai fait avec les élèves du département danse du Conservatoire sur le corps commun et l’horizon dans l’espace et le temps. Ces petits (et grands, ndlr, entre 8 et 18 ans) sont le futur, et moi, je pioche dans mon histoire d’enseignant et de danseur.
Astrid Le Jeune (Cie du Haut) : Ce qui m’intéresse, c’est tout ce qui se joue : comment on fait pour s’accorder sans créer d’arrêts. Quelle forme d’écoute on met en place. C’est quoi, se rencontrer ? Pour ça, je propose des mouvements pas compliqués techniquement, en « one to one » : moi et quelqu’un d’autre, qu’est-ce que ça va inventer, comment je m’adapte aux différences de l’un à l’autre… La rencontre. Le relais.
Sabine Desplats (Les Passeurs d’Oz) : Dès qu’Amélie-Anne nous a parlé de l’unisson, j’ai eu l’image d’une vague, de quelque chose qui se propage, se transmet. Comme si nous étions chacun une particule d’eau, toutes différentes, mais formant un tout global, comme la pluie, ou comme une onde en mouvement. On danse tous ensemble, dans le même espace, avec des mouvements très simples, en partant du mur, en relation avec le mur : on le touche, on le repousse, on y revient, on s’en détache, on dessine dessus… On dialogue avec le mur !
Pauline Sonnic / Nolwenn Ferry (C’hoari) : On a enregistré une partition orale, à télécharger et écouter au casque, qui nous invite à toucher ou regarder le végétal. Par exemple, le mouvement des arbres ou des arbustes peuvent influencer notre corps. L’idée c’est de se centrer sur soi pour être disponible à la rencontre avec l’autre. On se place où on veut dans l’espace et interpréter le mouvement comme on veut, de manière quotidienne ou dansée…
Julien Boclé : C’est comme un atelier de danse hip-hop pour tous avec des phrases et des pas très simples. Je suis parti de mon travail, qui est plus ouvert, plus contemporain, fait d’une recherche en milieu naturel. Des cercles pour être face à face et partager les bases et se transmettre les mouvements.
Emilien Leveneur (DJ / La Soute) : L’envie, c’est de mixer les genres et les disciplines avec la danse, pour créer le lien entre les performances, pour garder l’énergie et la fluidité, et installer l’univers maritime en ambiance, faire des liens entre les danseurs, les mettre en avant. Pour ça, il faut percevoir l’atmosphère à l’instant T et l’interpréter musicalement.
Sandrine Hoff (DJ / Atypik) : C’est une question d’interactions avec les danseurs et l’autre DJ, Emilien, que je ne connaissais pas. On a parlé de nos univers pour arriver à partager notre musique sans se prendre la tête. Se répartir les choses, mais aussi improviser. Ensemble et connectés, on s’inspire… Je suis aussi danseuse et j’aime faire le lien entre la culture musicale et dansée. Toutes les musiques sont celles sur lesquelles je danse et je m’entraîne, surtout de la House. Là, je danse surtout derrière les platines.
Inès Mauricio / Mackenzy Bergile : Tout est parti du contrepoint. C’est une partition qui a été construite pour les élèves du Conservatoire, qui est adaptée ici. C’est un système de blocs qui comporte des consignes de jeu, et ces blocs sont assignés à des secteurs différents du jardin. Les contraintes évoluent avec la musique, qui est jouée en live au piano. Les élèves sont des points d’ancrage pour le public, et leur servent de modèles, pour pouvoir entrer dans la performance par l’observation et l’imitation, comme dans le hip hop.
Fadil Kasri (Eskemm) : C’est une reprise de mon bal funk, que j’ai développé en « Mad-hiphop-son », pour l’emmener ailleurs qu’à l’habitude. Le principe, c’est de rencontrer l’autre en bougeant en rythme avec des un·e inconnu·e, avec des hand checks, un Madison à la sauce hip hop, un Soultrain…
Karine Le Bris (Eskemm) : La mission, c’est traverser le temps à travers le fil qui se déroule, dans la lenteur. Comment on joue avec ce fil, on s’enroule dedans, on enroule quelqu’un… Il y a un côté très cocooning.
Aëla Labbé / Stéphane Imbert (Lucane) : On est partis de quelque chose de fondateur pour nous, la « marche Dubocienne » qui était récurrente dans la pédagogie d’Odile Duboc : une marche à l’amble, le bras et la jambe du même côté. L’idée c’est que le public danse tout de suite, en se trompant, en essayant… Les embarquer, les entraîner. On marche, on se suspend, on se détourne, on rebondit, on joue avec le transfert du poids du corps, on envoie balader avec les mains… Une boucle assez simple qu’on avait composée pour « De la cave au grenier », un duo qu’on a créé pour le transmettre. On aime recycler nos matières pour en créer de nouvelles.
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