• et un clic là

Liz Hascoët. Dessin

Dans son atelier il y a du bleu. Celui de la petite mer de Gâvres, toute proche, qui vient infuser ses tissus et ses dessins. Indigo, turquoise, cobalt, aigue-marine, outre-mer, tout est bleu dans l’univers de cette exploratrice en herbe, qui rêve de partir en expédition sur les traces des grands voyageurs, Charcot en tête, son idole, dont elle est en train d’illustrer une biographie d’Auguste Dupouy.

« Je travaille sur un ressenti, après observation. Je photographie dans ma tête et puis il y a un long temps de maturation. Ce n’est pas du carnet de voyage, je suis davantage dans l’émotion »

Les grandes traversées, les expéditions lointaines, elle a tout lu, elle les a rêvées, cette petite bretonne pour qui on pourrait réecrire Boucle d’or et les trois ours (polaires). Un parcours qui s’écrit en bleu, celui des teintures de tissus, dont elle a étudié la trame et les techniques — jusqu’à un Master en innovation textile et une licence en tricotage — celui du dernier livre qu’elle a illustré : Histoires bleu marine, en passant par le nom du spectacle du quimpérois Henri Le Bal, dont elle a créé les décors : Insularis, ou encore sa collaboration avec le poète Frédéric Vitéllo : La mer m’a dit. Indissolublement liée à l’univers marin, fidèle du Salon du livre insulaire à Ouessant, et du festival Si la mer monte à L’Île-Tudy, Liz Hascoët y a fait de belles rencontres, comme celle de la navigatrice Anne Quéméré — autre idole — ou encore l’organisation Under the pole, pour qui elle a dessiné des fiches pédagogiques et scientifiques sur les espèces arctiques.

Mais au delà de la virtuosité technique du dessin, ce qui emballe chez Liz Hascoët, c’est en premier lieu le jeu avec le trait de trop.

« Je travaille assise par terre, pour être plus libre dans mes mouvements, et quand le dessin n’est pas réussi, je le déchire et je le jette »

Ceux qui restent sont donc, souvent, parfaits dans l’équilibre, dans l’épure : quelques lignes et tout est là, le trait de trop suspendu en l’air et envolé avant de se poser. La grâce de l’équilibre. On retient son souffle de peur qu’il ne retombe mais non, voilà, le dessin est là, les lignes comme un geste juste : « Je travaille vite, j’essaye d’aller à l’essentiel, sans repentir, sans trop de traits. Il faut que ça fonctionne du premier coup ». Au second passage, on remarque sa façon unique d’organiser l’image, sans respecter les échelles, comme un collage de visages en gros plans, de silhouettes vues de loin, un mélange d’esquisses et de dessins détaillés qui créent comme un motif de toile de Jouy sans répétitions. L’équilibre dans le fouillis. Un fouillis apparent qui raconte un univers fait de facettes, comme cet « autoportrait » en creux où ses racines bretonnes se racontent à travers le costume de sa grand-mère : l’estran et la ruralité, les phares et les tracteurs… Entre BD et dessin, on pense souvent à Hugo Pratt dans sa manière de gérer les plans et le trait à l’encre :

« Je joue beaucoup sur les échelles, dans ma construction d’images »

Au troisième passage, on remarque les trames de tissu, la broderie parfois, qu’elle intègre finement, comme des empreintes, ou des tampons, en jouant avec le textile, les encrages, la sérigraphie ou la digigraphie, comme des négatifs. Et enfin, le mouvement vient nous tirer par la manche : celui des algues, qu’elles dessine délicieusement, ou celui des palmes de ses plongeurs, créatures gracieuses et déliées, comme des traits de calligraphie, des radiographies d’espèces mutantes, dont les palmes seraient des extensions de squelettes…

ISABELLE NIVET
Juin 2018

 

x