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Ceux qui vont mieux

Sébastien Barrier. « Ceux qui vont mieux », étape de travail vue par Isabelle Nivet, février 2021.

On a vu le nouveau spectacle de Sébastien Barrier pendant le confinement, en résidence au Théâtre du Blavet, à Inzinzac-Lochrist. Les portes se sont ouvertes un soir, pour un parterre de professionnels probablement aussi déprimés que l’artiste, et tout le monde est reparti aussitôt le filage terminé, sans même un petit anxiolytique pour la route.

 

C’est qui, Barrier ?

Pour ceux qui ne connaissent pas Barrier, le définir serait l’enfermer, mais on a envie de tenter le terme « homme de parole ». Barrier parle comme il écrit, en skieur élégant il déroule le fil d’une pensée en arborescence, le propre des bipolaires et des hauts potentiels (on verra plus loin le pourquoi de ce détail). Longtemps comédien de rue avec un personnage qui a beaucoup traîné sur les quais de Bretagne, Barrier a trucidé son double fictionnel, Tablantec, et depuis quelques années il a rejoint les plateaux de théâtre pour créer des spectacles dits « de récit » où se mêlent les références et l’intime dans des formes entre conférence, confession, sermon, harangue, où son flow de prédicateur fait le show. C’est avec « Savoir enfin qui nous buvons », un spectacle pouvant durer jusqu’à sept heures, autour du vin naturel, que Barrier a littéralement explosé, devenant le chouchou des médias et des centres d’arts pointus, notamment le Cent quatre, à Paris, ou le théâtre le Grand T, à Nantes, avec lesquels il est artiste associé.

 

Une forme arty et musicale

Cette nouvelle création est à la fois familière, puisqu’on y retrouve la manière de Barrier de s’adresser au public de façon intime, tant dans le ton que dans le fond, mais aussi nouvelle, puisque cette fois Barrier va plus loin dans la déstructuration de la parole, dans l’idée de créer de nouvelles formes. En utilisant un sampler, de la musique et de la vidéo, Barrier hache son propos, en fait des boucles, des répétitions, des refrains, créant avec sa parole un matériau presque musical, et c’est le grand plus du spectacle, qui se transforme ici en performance d’art contemporain, plus qu’en conversation au coin du bar. Oui c’est plus sombre, on rit moins – même s’il y a des choses drôles, notamment quand Barrier parle de son psy, à Hennebont, ou se compare à Carrie Mathison, de Homeland. Et c’est super bien gaulé, ça tient la route, ça a du sens, il y a de la poésie, c’est plutôt beau, plastiquement, dans une atmosphère en noir et blanc, la marque de fabrique de Barrier. Même si, qui dit arty, dit moins de chair, et moins de chaire aussi, même si Barrier parle de célébration, son souffle est ici plutôt celui d’un pénitent au confessionnal que celui d’un orateur du Speaker’s corner de Hyde Park.

De l’intime à l’extime

Dans « Ceux qui vont mieux »,  le fait d’avoir vu ou non des spectacles de Barrier, de connaître ou pas son univers, jouera un rôle dans le ressenti du spectateur. Nous, on connait ses spectacles, on a vu (au Cleub, ce merveilleux lieu de jaille du Pouldu, aujourd’hui fermé) celui qui a donné naissance à « Ceux qui vont mieux », où apparaissent le curé de Morlaix, Georges Perros, Sleaford Mods et le père de Barrier. On a fait un Paris-Rennes avec Wee Wee, son chat, sur les épaules. On a croisé sa compagne, Elisa, à Locmiquélic, où il vit, on a fait des interviews de lui dans son appartement vue sur le port de Sainte-Catherine, on sait que son fils s’appelle Abel, que la fille d’Elisa s’appelle Garbo et qu’elle danse… Donc on comprend. Mais on se dit que les autres risquent ramer. Peut-être pas, au fond ? 

Mais ça nous trouble, de lire tant d’intime dans cette histoire, de voir Sébastien, en scène, prendre des (vrais ?) comprimés de lithium pour soigner sa bipolarité, même si, comme il le dit « Mais maman, oui, tu l’as lu sur Facebook, mais tu sais bien que je suis comédien ».

Et avouons-le, dans ce filage de plus de deux heures, on a parfois trouvé le temps long, ce qui nous a étonné, parce qu’on fait partie des adeptes du révérend Barrier. Alors on ne se fait pas trop de souci, parce que le spectacle n’est pas forcément calé, et ne le sera sûrement jamais, puisque Barrier aime prendre les chemins de traverse, en scène. Et que c’est ça aussi qui le rend si attachant, Barrier, c’est qu’il préfère foirer une session plutôt que de ne pas suivre les pistes qu’il pressent sur le moment, quitte à s’égarer. Sans semer de grains de pavot sur les pavés. Quoique.

 

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