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Eva Jospin

• Vue au Domaine de Trévarez , le 15 mai 2018 •

Qui se souvient de la grotte de Robinson Crusoë, dans Vendredi ou les limbes du Pacifique, de Michel Tournier ? Ou de celle de Jean-Baptiste Grenouille, dans Le parfum de Patrick Süskind ? Le temps suspendu. Entrer dans Panorama, d’Eva Jospin, procure un peu la même sensation : un lieu clos, rotonde à 360°, entre grotte et forêt sans fin, posé au centre des écuries du château de Trevarez, où l’on pénètre dans un silence que l’on s’impose spontanément, anticipant l’expérience sensorielle et méditative qui va s’en suivre… L’effet pressenti est bien là. L’odeur, tout d’abord, celle du carton, que l’on traduit presque comme une réminiscence végétale, la pénombre, comme une ambiance in utero, le son, étouffé, comme dans une grotte. Ici on ne s’imagine pas parler haut, on se concentre sur le ressenti. Une plongée au cœur d’une forêt magique, entre le décor de théâtre et la fabrique* de jardin. Le lieu se transforme en carrousel qu’on sentirait presque tourner. Dans ce manège immobile, on s’approche alors au plus près (pas trop, le cheminement a été voulu à environ un mètre des parois, pour conserver le mystère et créer la notion de point de vue sur le paysage, de panorama, donc) pour tenter de comprendre comment a été construite cette forêt de carton ondulé, où l’artiste a sculpté la matière par couches successives. Créé pour la Cour carrée du Louvre en 2016, Panorama, comme toutes les œuvres actuelles d’Eva Jospin, est faite de carton cannelé découpé, poncé, gratté, scarifié. Jamais l’artiste ne trace ses motifs au préalable, sa main exécute la découpe au cutter comme celle d’un chirurgien ou un très bon boucher, dans une maîtrise (que l’on peut constater dans les images d’une vidéo présentée dans l’exposition) qui se rapproche de celle des calligraphes. Les formes végétales produites, branches, feuilles, lianes, troncs, sont assemblées par collage et par plans successifs, afin de donner une impression de profondeur, reprenant les techniques des décorateurs de théâtre, et en effet, on retrouve quelque chose des décors célèbres des grands opéras ou ballets, pourtant, eux, aussi colorés que le carton d’Eva reste monochrome. Mais air de famille il y a.

Le vertige de la forêt

C’est une « sensation de nature » que cherche à produire Eva Jospin, dont elle parle dans une interview diffusée dans les écuries : « Ma représentation est à la fois imaginaire et réelle. Je ne mime pas la forme de la nature, je cherche à rendre une sensation. La forêt, c’est à la fois une accumulation, une profusion de détails, et en même temps une immensité. Il y a un vertige absolu de la différence, chaque chose est unique et la même dans la forêt ».

L’esprit des folies*

Une exposition de dessins et maquettes, ainsi qu’une installation de moindre intérêt, dans la tourelle ouest du château, viennent compléter la proposition ainsi que la construction d’une œuvre pérenne, Nymphée, dans une alcôve du parc, conçue autour d’un procédé étonnant. En effet, l’artiste a moulé ses cartons pour en faire des pièces de béton qu’elle assemble dans l’esprit des rocailles ou des folies* des siècles derniers, l’esprit des jardins italiens ou des jardins « pittoresques » du 18e, mais aussi celui des jardins du 19e. On pense notamment au parc de Majolan à Blanquefort, ou à la Quinta de Regaleira à Sintra. Eva Jospin parle de sa fascination : « La folie* est au cœur d’une chose qui pose le problème de l’art : l’inutilité. Faire une fausse grotte, par exemple, n’a aucun sens, et en même temps tous les sens. Construire de fausses ruines est d’une frivolité extraordinaire, que j’adore. »

* Les Folies, ou fabriques de jardin sont de petites constructions romantiques, aux formes souvent extravagantes (pavillon, pont, cascade, ruine, grotte, maison de coquillages, rotonde, tour…) édifiées dans les parcs, du 17e au 19e siècle.

ISABELLE NIVET
Juin 2018

 

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