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Fontaine. Teodoro Gilabert. Autobiographie de l’urinoir de Marcel Duchamp

VIRGINIE SALLÉ

Vous connaissez l'expression "Et mon cul, c'est du poulet" ? Et bien, à la manière de cette charante formule du meilleur goût, vous en conviendrez, voici un livre drôle, érudit et subtil qui pose haut et fort cette question : "Et mon urinoir, c'est de l'art ?"

Prenez un urinoir, retournez-le à 180 °, signez-le d’un énigmatique R. Mutt et présentez-le à la Société des Artistes Indépendants de New-York. « Pas question d’accepter cette pissotière dans notre exposition » : voilà en substance, l’accueil reçu par la proposition artistique de Marcel Duchamp en 1917. Œuvre d’art ? Supercherie ? Selon Duchamp, et pour reprendre la définition d’André Breton dans son dictionnaire du surréalisme, un ready-made est un « objet usuel promu à la dignité d’objet d’art par le simple choix de l’artiste ». Le débat fait rage depuis 100 ans, d’autant plus que l’œuvre originale, restée introuvable depuis tout ce temps, tient aujourd’hui une place majeure dans l’histoire de l’art contemporain. Mais qu’en pense le principal intéressé, l’urinoir nommé Fontaine ? Le livre s’ouvre sur la rencontre entre l’objet et l’artiste. Alors qu’il somnolait dans un showroom de la 5 e Avenue, l’urinoir perçoit immédiatement ce regard intense posé sur ses courbes. Personne ne l’a jamais regardé ainsi, ou alors d’une manière purement utilitaire. Heureusement, un Français héroïque a traversé l’Atlantique pour révéler au monde sa vraie beauté. Marcel ne l’a pas fabriqué, ni peint, ni même sculpté. D’urinoir devenu Fountain, l’objet devient œuvre d’art. Pour la première fois de son existence, Fontaine se sent beau (belle ?). Il parle comme un garçon (c’est un urinoir avant tout), et pourtant ses formes sont clairement féminines ; aussi, s’interroge-t-il sur son genre. Durant sa mystérieuse disparition, l’œuvre échoue chez un vieux brocanteur, et grâce aux ouvrages du Dr Freud tombés dans sa cuvette, Fontaine découvre la psychanalyse, il peut enfin mieux comprendre l’ambivalence de son genre et de sa relation avec son créateur. Et comme s’il ne manquait pas assez de repères, ce « salaud de Marcel » s’amuse parfois à signer ses œuvres d’un nom féminin. Fontaine décide alors d’être une femme lorsqu’(elle) l’aime, et un homme lorsqu’(il) le déteste. Voilà pour l’Œdipe, c’est réglé ! En donnant la parole à l’œuvre elle-même, Teodoro Gilabert aide le lecteur à mieux saisir la démarche subversive de l’artiste, à savoir remettre en cause l’identité d’une œuvre d’art. En créant de nouvelles perceptions par le détournement de l’objet, il interroge le monde de l’art sur ses dogmes poussiéreux. Ce facétieux Duchamp n’aura de cesse de transgresser les codes pour mieux s’en affranchir et s’en amuser. Par exemple, saviez-vous que l’artiste avait baptisé sa Joconde avec moustache : « L.H.O.O.Q. » Étonnant, non ? Et bien dans Fontaine, tout, tout, tout, vous saurez tout sur l’urinoir le plus célèbre du monde.

Editions L’Œil ébloui.
74 pages.
15 €

 

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