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Françoise Petrovitch à Landerneau

Isabelle Nivet. Novembre 2021

Voilà sans doute l’exposition la plus signifiante que nous ayons vu au Fond Hélène & Edouard Leclerc de Landerneau. Non pas que les précédentes aient été inintéressantes – Miro, Bilal ou Giacometti ! – mais peut être plus évidentes, tout du moins mettant en avant des artistes plus que confirmés, mondialement reconnus. Françoise Petrovitch est à la lisière de cela, et c’est ce qui donne d’après nous tout son sens au lieu, cet entre-deux, cet équilibre entre exigence et découverte. Car même si Françoise Petrovitch est une grande, grande artiste, pas  confidentielle du tout, plus nombreux seront les visiteurs à la découvrir qu’à découvrir Giacometti.

Même entre-deux dans le travail de cette artiste intuitive et physique, qui dessine comme on calligraphie, en se plongeant corps et âme dans le bras qui produit le trait, souvent à genoux, surplombant le papier comme une Virginia Woolf cultiverait son jardin anglais. A la fois cérébrale et spontanée, l’œuvre de Petrovitch est abondamment commentée, et souvent via des prismes psychologiques ou psychanalytiques, il n’est donc pas forcément utile d’apporter une pierre de plus à l’édifice critique qui théorise un corpus infiniment riche, ici, puisque cette exposition est une rétrospective couvrant toute la carrière de l’artiste depuis ses débuts. D’autant plus qu’un film passionnant, intégré à l’exposition, enrichit la visite d’une heure d’entretiens et d’images, documentant à la fois sa technique et ses sous-textes. Le catalogue de l’exposition, avec ses 200 pages, donne en complément une analyse très riche et multiple de l’univers Petrovitch.

 Alors quoi ? Qu’apporter de plus ?

Comme toujours, le désir, peut-être.

Un désir puissant, lorsque l’on entre dans ce paysage d’encres et de couleurs, de visages et de corps, de grands formats et de très modestes. Un désir puissant d’en prendre encore et encore, d’en voir plus, de plonger plus profondément dans ces eaux parfois troubles. Car notre rapport aux œuvres de Petrovitch est aussi physique que le sien propre. Si l’on peut néanmoins se poser des questions à leur orée, on n’y entre pas par le mental mais par les sens, la peau, le corps. On s’y immerge en se laissant flotter dans toute cette eau qui envahit l’espace, qu’on entend même couler au sein de l’une des installations vidéo. L’eau est là dans les encres, mouvante, vivace ou stagnante, l’eau des rêves, l’eau du trouble, l’eau de l’imaginaire, mise en mouvement par les traits de pinceau, par l’élan du corps, par l’instinct et l’intuition. Dans ces papiers détrempés il n’y a ni début ni fin, aucune limite à l’immersion du spectateur. L’œuvre est monde, infinie, ouverte, béante, pour absorber celui qui la regarde. D’ailleurs on ne regarde pas les œuvres de Petrovitch. On nage, on flotte, on coule, on voyage comme un saumon bleu entre ses fonds mystérieux, qui sont ceux de l’âme et des désirs.

Cette intuition du trait permet à ce dessin, parfois aussi très technique – et académique – de représenter des émotions, des sensations dans des portraits qui n’en sont pas complètement, puisque souvent les yeux sont fermés, ou cachés. Des portraits portés par une couleur pour laquelle on ne trouve que des qualificatifs insuffisants et dérisoires, une couleur qui jaillit, explose, nous bouleverse et donne envie de nous en badigeonner…

Dans ces formats souvent immenses, des enfants ou des adolescents, souvent, mais pas seulement, et des animaux – oiseaux, nombreux, animaux des bois, lapin, cerf, faon – omniprésents, comme des symboles. « Naturellement, ces animaux  regorgent de significations quand on se penche sur leurs origines mythologiques, théologiques, littéraires, ainsi qu’en histoire de l’art, mais ils peuplent aussi depuis longtemps nos mondes intérieurs et appartiennent aujourd’hui au domaine des mythologies individuelles, bien au-delà des sciences» (Petra Giloy-Hirtzle).

Les œuvres de Petrovitch sont des catalyseurs, comme ces cartes qu’utilisent parfois les psys pour libérer la parole et l’intuition. Des images si fortes que chacune crée un écho en nous, et parfois même un écho profond, troublant : la sensation de trouver un signe qui nous soit possiblement destiné, comme on ressent sur un chemin forestier l’impression de se trouver exactement à l’endroit où l’on devrait être pour y comprendre quelque chose de nous-même… La visite prend donc un tour – et un sens – particulier, de salle en salle, comme une quête curieuse. On parcourt les lieux à l’affut, aux aguets, tous sens en éveil, mais sans enjeu. On sait bien que c’est l’œuvre qui nous trouvera plus que l’inverse.

Jusqu’au 3 avril 10h−18h. Ouvert tous les jours sauf les 24, 25, 31 décembre, et 1er janvier. Plein tarif 8 € . Tarif réduit 6 €

 

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