
Graines de liberté
Mes tomates cerises contre les multinationales
La graine est un bien commun. La diversité génétique notre avenir. Face aux géants de l’agrochimie, qui tentent de breveter les semences pour en faire une marchandise, Graines de liberté, premier établissement semencier coopératif en Bretagne, montre que la résistance est possible. Oui, nos graines ont du pouvoir !
Il y a quelques jours, en rangeant mon placard, je suis tombé sur un sachet de graines de tomates cerises acheté l’été dernier. Vous savez, celles qu’on achète impulsivement en se disant qu’on va enfin devenir ce jardinier urbain épanoui des magazines déco. Et là, patatras : des questions existentielles ont envahi mon petit cerveau de citadin. Ces graines, d’où viennent-elles vraiment ? Et si, sans le savoir, j’étais en train de nourrir la machine capitaliste semencière mondiale avec mes trois pots de basilic sur le rebord de la fenêtre ?
C’est en discutant avec Emmanuel Antoine, président de Graines de liberté – une coopérative semencière bretonne créé par des maraîchers et des restaurateurs en 2020 –, que j’ai réalisé l’ampleur du problème. Non, les graines ne sont pas qu’un hobby de bobos parisiens en quête d’authenticité. Elles sont au cœur d’un enjeu majeur : celui du contrôle de notre alimentation. « Plus de 80% des légumes commercialisés, y compris en bio, sont des semences hybrides F1 », m’explique Emmanuel. Traduction pour les néophytes comme moi : des graines qui ne se reproduisent pas. Vous plantez une belle tomate, elle pousse magnifiquement, mais si vous récupérez ses graines pour l’année suivante, vous obtiendrez… une tomate dégénérée. L’agriculture moderne, c’est un peu comme ces capsules de café qui ne marchent qu’avec une seule machine : on vous vend l’illusion du choix, mais en réalité, vous êtes pieds et poings liés.
Le plus fort, c’est que cette dépendance touche même l’agriculture biologique. « Les maraîchers bio cultivent des plants, récoltent les fruits, mais n’ont qu’une vision tronquée de la biologie de la plante », poursuit Emmanuel. Ils voient le fruit final, pas tout le cycle de la vie végétale. C’est comme si on ne connaissait de l’humanité que les adultes, sans jamais voir d’enfants grandir, ni les vieux mourir dans un EHPAD.Pendant ce temps, quelques multinationales – Bayer (qui a racheté Monsanto), Syngenta, Dow – se frottent les mains. Elles contrôlent non seulement les graines, mais aussi tout le protocole de culture qui va avec. C’est l’uberisation du vivant : vous ne possédez plus rien, vous louez tout, y compris votre capacité à cultiver.
Heureusement, il existe des irréductibles. À Graines de liberté, établissement semencier coopératif en Bretagne, des producteurs.trices (maraîchers, céréaliers, paysagistes, pépiniéristes, jardin d’insertion, jardiniers amateurs…) défendent les « variétés de population » ou « semences paysannes ». Ces variétés ont certes des défauts : elles sont moins uniformes, moins prévisibles. Mais elles ont un superpouvoir : elles s’adaptent. D’une année sur l’autre, elles apprennent à connaître votre sol, votre climat. Elles deviennent plus résistantes aux maladies. C’est la différence entre un robot et un être vivant qui grandit avec son environnement.
« Notre conviction, c’est que l’humanité peut progresser s’il y a une meilleure compréhension qu’elle vit en interaction avec les autres espèces vivantes », philosophe Emmanuel. Moins de science-fiction transhumaniste, plus de bon sens paysan, en somme.
Que faire à notre petit niveau ? D’abord, cesser de culpabiliser sur nos échecs jardiniers passés (oui, mes radis étaient effectivement immangeables, mais je les ai mangés quand même). Ensuite, reprendre le pouvoir, un pot à la fois. Acheter des graines reproductibles chez un semencier indépendant (référencé sur le site de Graines de liberté), même pour trois tomates cerises sur le balcon. Laisser monter en graines quelques plants de salade. Récupérer les graines de ses tomates (oui, c’est possible, même en appartement).
C’est un acte apparemment dérisoire, mais symboliquement puissant. Chaque graine sauvée, c’est un petit doigt d’honneur aux multinationales qui rêvent de breveter le vivant. C’est reprendre sa place dans la chaîne alimentaire, comprendre d’où vient vraiment notre nourriture.
Et puis, il y a quelque chose de magique à voir germer une graine qu’on a soi-même récoltée. C’est la preuve que, malgré notre monde de plus en plus artificiel, le miracle de la vie continue, têtu, généreux, gratuit.
Alors oui, je vais planter mes tomates cerises. Pas parce que c’est tendance, mais parce que c’est politique : la diversité génétique est l’enjeu de notre survie sur Terre. Mon jardinet ne révolutionnera pas l’agriculture mondiale, mais il me permettra de garder vivace cette vérité simple : les graines, comme la démocratie, ça se cultive. Et ça commence chez soi.
RAPHAËL BALDOS
http://www.grainesdeliberte.coop
La rubrique « En transition » est entre les mains de Raphaël Baldos, journaliste membre de l’ONG d’enquêtes journalistiques en Bretagne splann!
Un choix fait conjointement avec la Biocoop Les 7 épis, qui parraine la rubrique, dans l’intention d’aller voir un peu plus loin.

POUR ALLER PLUS LOIN DANS CETTE THÉMATIQUE