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Katja Hunsinger et Rodolphe Dana montent Bartleby. Visite en coulisses

Dans la salle, tables et consoles ; sur les fauteuils, sacs à dos et vêtements ; au sol, tasses de thé et bouteilles d’eau. Le Grand théâtre de Lorient est en mode répétition avec l’équipe de Rodolphe Dana et Katja Hunsinger qui montent le mythique Bartleby, de Melville.

Tout juste une nouvelle, aux frontières de l’étrangeté à la Métamorphose de Kafka, Bartleby tranche avec l’univers de Moby Dick, écrit par Melville trois ans auparavant. Le scénario est magnifique de simplicité et d’absurdité : un employé de bureau cesse peu à peu de travailler pour son employeur, au motif qu’il « préfèrerait ne pas ». Si cette célèbre réplique traduite du « I would prefer not to » a inspiré les philosophes et les penseurs, déchaînant Deleuze et Derrida, pour le public, il est facile d’entrer dans ce monde du travail absurde – une dystopie à la Brazil – et de se passionner pour cette histoire de résistance passive et pour cet anti-héros.

Un univers à la Tati
Dana et Hunsinger ont choisi de monter le texte à la Tati, insistant sur le côté visuel, burlesque, poétique et étrange, dans le décor et les corps. Pour nourrir leur mise en scène et offrir des pistes d’interprétation – le texte apporte plus de questions qu’il ne donne de réponses – le duo a beaucoup lu, à commencer par Désobéir, de Frédéric Gros : « Obéir rassemble, désobéir isole. Bartleby, lui, ne souhaite pas quitter son travail qui est aliénant, qui n’a pas de sens. Son corps et son esprit sont dédiés à son travail. Bartleby, c’est un grain de sable dans un mécanisme bien huilé. Il oppose un refus doux, mais le fait de manière irrationnelle, presque sauvage ».

Personne ne sort les fusils, de Sandra Lucbert, roman écrit à partir des manipulations de France Télécom sur ses salariés, a également été une lecture fondatrice : « Bartleby parle aussi des gens désocialisés, de la pauvreté versus le travail, du rapport ambivalent et hypocrite de la société à la pauvreté »

Le théâtre dans le théâtre
Sur scène, un décor qui brouille les frontières, tables-bureaux semblables à celles du bar du Grand théâtre, et dossiers colorés qui sont les vraies archives du Grand théâtre. Cette idée du théâtre dans le théâtre se ressentira tout du long du spectacle, avec un jeu d’acteur à double niveau, entre le personnage et l’acteur.  
« On a cherché une forme d’équivalence à la désobéissance de Bartleby dans la désobéissance de l’acteur au metteur en scène », un « truc » pas forcément visible, mais destiné à « créer du jeu et des enjeux dans un texte non écrit pour le théâtre, mettre de la théâtralité et du présent. On ne voulait pas tomber dans le cliché du type falot, introverti. Il fallait qu’il soit surprenant ».

Des corps burlesques
Résultat, des postures de jeu et de corps légèrement décalées, à la Tati, pour Rodolphe Dana et Adrien Guiraud, qui joue le rôle titre: « On s’est inspirés de l’univers de Tati époque Playtime  : bureaux en open space, bruitages amplifiés : tamponner des copies, utiliser un taille-crayon électrique, prendre de l’eau à la bonbonne, faire bouillir une théière. Dans cet environnement ennuyeux et ordonné, on va faire arriver de la sauvagerie et du burlesque. On a beaucoup réfléchi à ce décor, beaucoup hésité entre trop ou pas assez réaliste » Des choix qui se font au fil de l’eau « On se connait depuis longtemps, ça infuse entre nous, par capillarité ». On devra à Rodolphe le buste de Cicéron, posé sur le bureau du patron « J’y tenais beaucoup : il symbolise pour moi la sagesse, la mesure, pour ce patron qui n’aime pas le conflit ». Katja, elle « adore l’irruption d’objets électroniques, quand les objets du quotidien prennent un petit côté science-fiction » 

 Isabelle Nivet. Octobre 2020

 

Leurs inspirations

Désobéir, Frédéric Gros

Personne ne sort les fusils, Sandra Lucbert

Gaston Lagaffe, André Franquin

Moby Dick, Herman Melville

L’effet Bartleby,  Gisèle Berkman

L’étranger, Albert Camus

Brazil, Terry Gilliam

Playtime, Jacques Tati

The servant, Joseph Losey

Parasite, Bong Joon Ho

Théorème, Pier Paolo Pasolini

Tartuffe, Molière

Nous on a pensé à

Dans la peau de John Malkovich

Inside N° 9 (épisodes 3 et 5)

 

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