On a craqué sur ce spectacle, d’abord parce que le duo Nina Fisher y tient une place importante, et qu’on adore leur musique électro-chanson. Puis on a eu Sandrine Roche au téléphone, qui joue et écrit au sein de l’association Perspective Nevski, et ça a emporté le morceau. On parle ici de mauvaise herbe et d’indocilité, et ça nous va bien…
Les débuts du projet, c’était quoi ?
Je connaissais la chanteuse du duo Nina Fisher, je devais lui écrire des chansons, et puis on s’est retrouvés tous les trois sur le plateau, elle m’a parlé de Marie-José Mondzain, une philosophe qui a écrit sur les plantes saxifrages, qui fendent le béton, on est partis sur cette notion de « débordement du vivant », et on a cherché comment le retranscrire textuellement et au plateau. On a imaginé un conte, une histoire onirique, j’ai écrit un premier jet et ensemble, on a tricoté entre les mots et la musique une sorte d’opéra électro-pop.
L’histoire allégorique d’une fleur rebelle, ça parle à tout le monde ?
Quand j’écris, je convoque toujours des enfants pour écouter et mettre mes questions en pâture. Il est apparu que le texte permettait le dialogue entre les générations, mais à plusieurs niveaux de lecture. Chacun en parle avec ses références. C’est un conte, une allégorie du monde d’aujourd’hui : dans un royaume sans plantes ni fleurs, où tout est bien organisé, une fleur se sème et va tout fissurer. Tout part en vrille et en fous rires. Tout au long du conte, on ouvre des brèches avec des anecdotes : politique, rôles homme – femme, opposition riche – pauvre, immigration…
Ça ressemble à quoi, au final, comme forme ?
On chante, on parle, on joue On est entre le concert et l’histoire, on navigue entre les deux sur une forme de théâtre musical où on a beaucoup travaillé sur la spatialisation sonore. On n’a pas de place assignée, on joue et on dialogue tous les trois.
Et le végétal, dans tout ça ?
On a choisi d’utiliser un rétroprojecteur, pour son côté artisanal. Je crée des propositions graphiques avec des matières végétales, que je projette sur les corps et l’espace. Avant chaque spectacle, on cueille des végétaux là où on est, et on fait des essais. On sait maintenant ce qui marche ou pas, mais ça permet de conserver une part d’aléatoire selon les lieux et les saisons. Je rajoute des encres, de l’aquarelle et de l’eau, de l’huile, du marc de café, et du sésame, mais non torréfié, sinon ça ne marche pas !
Vous avez pas mal louché du côté du paysagiste Gilles Clément, hmmm ?
La force du vivant, les corridors de continuité, Gilles Clément en parle beaucoup, et on a tout de suite vu le parallèle avec le tunnel de Calais comme un corridor. Les mêmes termes sont utilisés pour le déplacement migratoire et végétal. Le vivant, il existe, il continue de pousser, on ne peut pas continuer à être muselés. Seulement ces choses, je ne veux pas les dire en donnant des leçons, alors j’ai travaillé sur les « passions joyeuses » d’après Spinoza, une posture qui est relayée par la musique entraînante et joyeuse d’Elisabeth et Pierre…
Propos recueillis par Isabelle Nivet le 12 octobre 2018