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Marine Chesnais. Danseuse en apnée

Une rencontre d’Isabelle Nivet avec Marine Chesnais. Octobre 2021

Marine Chesnais, elle est descendue du bateau et elle est montée chez moi, sa bouteille d’Evian à la main. Marine Chesnais, elle est danseuse-chorégraphe et elle vient de s’installer à Groix. Tout sauf une posture. Et donc un sens. D’abord elle s’appelle Marine. Et puis elle est bretonne. Morbihannaise, même. Aussi elle s’intéresse à l’écologie. Plus que ça, même, avec ce désir de faire une épissure entre écologie activiste et travail artistique, en faisant de sa compagnie une ONG.

Elle plonge, et elle danse. Avant de trouver le sens, la lenteur et la présence au monde naturel, elle a explosé son empreinte carbone – et elle s’en veut un peu pour ça  – dans des avions autour du monde, pour la chorégraphe Gisèle Vienne, notamment dans Crowd, pièce avec laquelle elle tourne depuis six ans, interprète. Elle a dansé pour Fatoumi-Lamoureux, au CCN de Caen, et pour Daniel Dobbels aussi. Puis elle a créé sa propre compagnie, qu’elle a appelée Kasenn (courant sous-marin, en breton) puis une autre, cette fois implantée à Lorient, baptisée One breath. Une respiration.

La respiration, c’est là qu’est le cœur de son inspiration. Je lui demande comment on fait pour rendre lisible une respiration en scène. Elle me montre une respiration d’apnéiste – un  breathe up, cet exercice d’entraînement d’apnée – et tout s’éclaire : d’abord c’est (très) sonore, ensuite, c’est (carrément) visible, et enfin, c’est (vraiment) impressionnant. Le corps s’aligne, la cage thoracique s’étale et s’ouvre, le visage s’éclaire, l’âme apparait. Cette respiration de plongeuse, Marine la pratique depuis longtemps :

« L’apnée, c’est une petite mort, c’est vertigineux, c’est un instant où il faut lâcher, apprendre à voir tous les possibles qui s’offrent et se reconnecter avec sa partie créatrice. L’apnée fait partie de mon parcours intime et professionnel. On n’a plus le choix, le corps est obligé de se reparamétrer. On ressent des contractions, et on doit lâcher quelque chose. Alors les contractions s’atténuent et on descend plus profond, on est comme élargi, avec une sensation d’unité. ».

C’est à partir d’exercices respiratoires en compagnie de Clémentine Maubon, qui danse avec elle dans « Habiter le seuil » que la chorégraphie s’est écrite :

« D’abord ressentir nos énergies, de la même manière que les cétacés s’accordent, communiquent, prennent des décisions, par la respiration. Le souffle est ici le moteur du mouvement, plus que le corps. Il est audible parce que libre, parce qu’on laisse aller ce qui vient. On partage les apnées »

Sous l’eau, Marine, a – à la façon de Kitsou Dubois, cette chorégraphe qui a travaillé dans des simulateurs de vol en apesanteur – expérimenté des états qui sont allés nourrir sa danse, son être :

« Une recherche de fluidité, un passage d’énergie, une portance, une suspension. Tout est démultiplié sous l’eau. On y emmène les gens avec nous, un tout petit peu comme dans une méditation guidée ». D’autant plus que le public s’installe autour d’un tapis-miroir circulaire : « Comme un blue hole, ces trous circulaires qu’on peut voir en mer Rouge, notamment ».

Cette pratique de la plongée s’est connectée à un autre versant, la relation au vivant :

« De même que les scientifiques s’inspirent de la nature pour créer des produits, de la performance, moi je veux utiliser le bio-mimétisme sur des questions culturelles, sociétales, spirituelles, pour acter des choses. Si j’impacte la nature, je suis aussi impactée : je veux mettre en place des outils d’éveil à cette perception ».

Alors Marine s’est rapprochée de scientifiques, et elle est partie en mer Rouge, à la Réunion, à la rencontre des cétacés.

Je lui pose la question de comment savoir si l’animal te rencontre aussi ?

« J’ai appris avec des éthologues (les scientifiques qui décodent les comportements animaliers, NDLR) à lire les réactions, les gestuelles. Il y a des signaux. Déjà, si l’animal reste et vient vers toi, c’est qu’il se passe quelque chose. Pour moi, il y a la sensation d’être englobée dans un espace commun, dans un monde à un même niveau. C’est mon regard. Mais je ne veux pas fermer la porte au fait qu’ils puissent au moins être curieux de nous. Dans tous les cas, lorsque l’on est en apnée, on est en difficulté, on fait preuve d’humilité. On rentre chez quelqu’un, où on n’est pas maître »

Ces rencontres sous-marines, dès le début, sont censées être filmées. Elles le seront. Mais en milieu de projet Marine réalise à quel point les réticences des scientifiques, qui redoutent les « selfies cachalot », sont justifiées :

« Je me suis dit si j’étais là, ce n’était pas pour les images, mais pour une présence, un contact, ou pas. Qu’il fallait accepter que rien ne se passe, et bien sûr, c’est là que les rencontres, bouleversantes, se sont faites ».

 

Habiter le seuil
Bande son de François Joncour (sons de baleines, musique électro acoustique et voix lyriques) + Steven O’Maley + Litanie for the whale de John Cage + texte et voix de Marine Chesnais.

10 octobre : Conférence avec François Joncour et extraits du film. Festival Les aventuriers de la mer, Lorient

16 octobre : Habiter le seuil, Hydrophone, Lorient

26 et 27 octobre et 3 novembre : Océanopolis, Brest

26 janvier : Festival Waterproof, Rennes

Mai/juin : résidence au Théâtre de Lorient

 

 

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