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Miles Hyman. L’entre-deux mondes

Miles Hyman est plus qu’un dessinateur. S’il excelle dans l’illustration de presse (Libé, Le Monde, Télérama…) avec des images comme des micro-histoires métaphoriques, chargées de symboles et de sens cachés, nous, nous n’avons vu que l’auteur, nourri de roman noir américain, nostalgique des années post dépression (Il serait faux de réduire Hyman à un archiviste du rétro, son univers est beaucoup plus complexe, riche d’infime décalages qui font douter de la réalité de ses images, c’est sans doute pourquoi l’exposition a été baptisée «Entre deux mondes»). C’est lisse, c’est parfait, c’est sublime souvent, et ça nous embarque irrésistiblement dans un monde imaginaire, celui des films Hollywoodiens, où, paradoxe, le noir et blanc domine, alors que chez Hyman, tout est cramoisi. Ses ombres, ses façades, ses rues, ses personnages, et ses femmes. Ses femmes, nous y voilà.

Les femmes en robe rouge

Il semble n’y avoir qu’une chose qui intéresse Miles en elles : les parties de leur corps où le tissu plisse, fronce, épouse les courbes du torse, les drapés sur les seins, les cols châles
plongeants, les robes portefeuille. Et le tissu lourd au bon tombé, jersey, satin de soie qui plaque, qui suggère, qui enveloppe les masses du corps comme les fascias le font des muscles. Des robes omniprésentes qui dévoilent les bras. Cet homme là doit les aimer passionnément, les bras des femmes, de l’épaule au coude, la longue glissade le long du bras, le rond de l’épaule, les lignes de tension sur l’avant-bras jusqu’au poignet, la peau comme une robe à la ligne impeccable. Toujours coupées, comme si les jambes l’intéressaient moins, dans des cadrages on ne peut plus cinématographiques – plans américains, gros plans, contre plongées – les femmes de Miles semblent être le reflet de ce qu’il aime chez elles (au moins dans son travail : on n’a pas eu le temps de lui poser la question lors d’une brève rencontre au vernissage) dont son eldorado, le dos, présent si souvent, oui, il aime les femmes de dos, les omoplates qui se rapprochent, la descente vers les reins, le tissu qui se plaque sur le haut du dos et les fronces qui accompagnent la plongée. Il aime les robes nouées dans le dos, ceinturées à la taille, il aime les coutures qui se rejoignent le long de la colonne vertébrale, dessinent une cambrure modérée, d’un érotisme très wasp, à la Hitchcock.

Cerise, grenat, carmin, cramoisi, ponceau, bordeaux, rouille

Ses silhouettes pourraient faire croire à une esquisse de Monsieur Dior, la posture du mannequin classique, main appuyée sur la hanche, dos en arrière, pour faire jaillir la forme de la jupe et dessiner la courbe de la cambrure. Pas de chutes de reins à la Beyoncé, les femmes de Miles sont élégantes, pas pulpeuses. S’il y a volupté elle est cachée. Tout juste apparaît parfois la dentelle d’un soutien gorge noir. Au bord du fétichisme,  on sent l’amour des matières, le cashmere du pardessus, le serge du trench, la cheviote du blazer, le crêpe d’une robe. Une robe rouge. Toujours. Un rouge cuit, sombre, brique, comme si la lumière qui baigne toutes les images de Miles, d’un orangé rétro, venait déteindre sur les robes de ses héroïnes. Cerise, grenat, carmin, cramoisi, ponceau, bordeaux, rouille, les robes se posent parfaitement sur leurs hanches, tandis que leurs visages boivent la lumière du soleil couchant, leurs pommettes couleur tommette, à la peau tendue et rougie comme s’il n’y avait jamais eu qu’une seule heure et une seule saison…

Miles Hyman nous fait penser à…

Schuiten et Peeters, les spécialistes belges de l’architecture et des univers parallèles.

Edward Hopper, le peintre de l’Amérique, tout autant pour ses maisons de bois peint que ses bars de nuit.

Jacques de Loustal, qui explore exactement les mêmes thématiques, aux cadrages similaires, mais dans une patte graphique plus BD.

Pierre Le Tan, pour la nostalgie du rétro à la Modiano, qui irrigue ses dessins délicats.

ISABELLE NIVET
Juillet 2018

 

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