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Patrice de Benedetti. Vous etes ici

RENCONTRE – Avril 2018

Festival des Rias 2016, place de l’église, Rédéné. Dans le tunnel de spectacles, rien n’a encore déclenché l’émoi, je traîne, un peu désœuvrée, entre les barquettes de frites et une dernière clope. La nuit tombe, encore chaude, je m’installe sur la moquette tendue devant le monument aux morts. Trente-trois minutes plus tard je me relèverai en automate, sonnée comme si j’avais livré le premier combat de boxe de ma vie. Patrice de Bénédetti. J’aimerais ne plus voir que des gens comme ça sur une scène, demain.

Avril 2018, Patrice de Bénédetti et moi on se parle au téléphone. Il a un bel accent du sud, qui contraste avec son physique de beau gosse ricain, entre Sean Penn et Clive Owen. Il est né et a grandi à Marseille, dans les quartiers nord, il le dit pour raconter son nouveau spectacle, Vous êtes ici, qu’il a écrit et conçu sous la même forme que Jean, à savoir un millefeuilles de danse et de texte, histoire intime et histoires vraies : « Cette forme de texte écrit par moi et enregistré, c’est quelque chose qui me va, pour faire passer des choses. C’est un principe qui va me suivre sur les deux prochaines créations. Jean, j’ai d’abord eu envie de le parler. Je me suis enregistré pour trouver les mots, faire le mouvement. Puis je l’ai gardé. Ça a influé sur l’écriture. On grave quelque chose, il faut que ce soit juste, à ce moment là».
L’enregistrement est diffusé sur la danse. « Pour Vous êtes ici, c’est une écriture plus poétique, presque du slam, un texte plus dense, très présent. Personnel mais pas intime ». Jean était un hommage à son père, à Jean Jaurès, et à tous les Jean morts dans un combat absurde, choisi et décidé par d’autres. Vous êtes ici, parle du sport comme planche de salut : « Je suis parti de mon frère et moi, comment on rêvait d’ailleurs, dans le quartier de Saint-Barthélemy. Plus largement, comment les minots tentent de s’en sortir par le sport, dans les quartiers et dans le monde entier. Ils ne réalisent pas qu’ils sont dans un endroit triste et sordide. Ils sont pleins d’espoir. J’étais comme ça. J’ai fait des ateliers dans le collège où j’étais, rien n’a changé». A l’universalité du propos s’ajoute un récit à la frontière du documentaire, l’histoire des frères Hernandez, Livan et Orlando, deux jeunes cubains devenus des stars de baseball à des années d’écart, après que le second, bloqué à l’immigration, ait enfin pu rejoindre son frère…

« On va chercher l’essentiel quand on commence tard »

Patrice de Bénédetti, il a fait de la musique dans des groupes de rock, il chante, il est comédien, mais la danse, il ne l’a trouvée que tard, à plus de trente ans : « La danse, je l’avais refoulée ». Ça il nous le dit, et on comprend pourquoi sa danse est si singulière, si forte, si vraie. Sans formatage. Brute. Son corps, aux appuis posés, vraiment posés, parle sans filtre, sans fioritures, illustrant ce lieu commun qu’on se déteste de penser et d’écrire mais qui là, prend vraiment son sens : l’urgence de dire. En 2001 il voit Ex Nihilo danser dans la rue, à Châlons : « Un choc frontal. Je suis parti avec eux. J’ai fait ma formation de danseur avec eux. Je voulais apprendre. J’étais hyper discipliné ». On lui fait remarquer que ce n’est pas ce qui se dégage le plus de lui, la discipline ; que lui, il a plutôt l’air d’un – on lui demande d’excuser la pauvreté de la comparaison – animal sauvage. Il se marre de l’image. Il se marre d’avoir tenté de nous faire croire à sa capacité à rentrer dans le moule. Il dit que le solo c’est son karma : « C’est mon truc d’être en solo, j’y vais naturellement. Toujours. J’ai fait six ans avec eux et je suis parti. J’avais besoin de liberté, d’aller où je voulais, de faire de trucs personnels ». Des trucs qu’il va faire en rue : « Dans la rue, c’est là où il y a le plus de choses à raconter, quel trésor… Mais aujourd’hui on sclérose les choses en posant des codes. Alors que c’est très libre, la rue, pour aller à la performance, à l’efficacité. Pour Jean, la première chose que j’ai faite, c’est m’asseoir devant un monument aux morts pour regarder ce qu’il y avait à voir ». Il va beaucoup danser, jusqu’à l’épuisement. Ses derniers solos de Jean, on le lui a dit, que c’étaient les plus émouvants, qu’il n’avait jamais si bien dansé que blessé « Je change des choses pour danser avec mes blessures, mais c’est épuisant. Ça demande une énergie de dingue ».

ISABELLE NIVET
Mai 2018

 

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