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Une rencontre avec Mastabilo

Par Isabelle Nivet. 22 décembre 2022

Quand je suis arrivée à Lorient je n’y connaissais que trois personnes. Et puis je suis entrée au Télégramme, et j’ai commencé à rencontrer des gens. Beaucoup de gens. Très vite, quand je croisais dans la rue quelqu’un·e qui m’intriguait, j’ai compris qu’à un moment, je recroiserai forcément cette personne dans un bar, une salle de spectacles, une expo, et que je m’assiérai bientôt en face d’elle avec un carnet de notes et un Bic 4 couleurs pour écouter sa parole.

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Damjan Petrovic, j’avais vu son visage émerger d’une pile de livres dans le sous-sol de L’Imaginaire, la librairie mythique de Lorient. J’avais vu tourner son nom sur les réseaux sociaux, quand les lecteurs se sont émus de la fermeture du lieu. Puis j’ai compris que Mastabilo, ce pseudo qui surgissait comme un diable de l’Instagram box, au pied de papiers collés sur les murs de la ville, c’était le même personnage. Alors j’ai pris mon Bic 4 couleurs et le cahier que m’a offert Géraldine, celui sur lequel le stylo glisse comme sur la glace d’une patinoire olympique, et j’ai rencontré Damjan sur les banquettes du Bison ravi*

Avant d’ouvrir les guillemets et de faire parler Mastabilo, il faut que je vous dise ce qu’il fait. Du street art, avec des papiers collés, des portraits dessinés, et toujours un petit twist qui en fait un peu plus que des portraits. Mon préféré, celui qui évoque Levalet,  un de ses premiers collages, un boxeur en garde, assorti d’une punchline qui me cause bien « La culture est un sport de combat ».

– Mastabilo, ça veut dire quelque chose ?

– C’est du Serbe, ma langue paternelle, ça veut dire « peu importe » ou « n’importe quoi ». J’en ai fait mon pseudo et mon cartouche, dans un rond de couleur rouge.

– De libraire à street artist, c’est quoi le parcours ?

A force de fréquenter le Galion et les graffeurs de la Perrière, ça a fini par me démanger. Je faisais beaucoup de photo, j’étais passionné de street-art, et je n’avais aucun parcours d’art, mais j’avais envie d’essayer. Depuis, j’ai fini par prendre un statut d’artiste, parce que je suis sollicité pour des projets, notamment dans des collèges…

Ça fait quoi de bosser dans la rue ?

J’ai commencé il y a trois ans, un pochoir rue du Bout du monde, un portrait de mon grand-père Georges, en 1936. Sans autorisation, y avait personne dans les rues, mais ça donne quand même un petit coup d’adrénaline ! J’aime cette zone grise de liberté où tu peux tester. Je colle le dimanche matin, quand c’est discret et calme : mes enfants trouvent ça cool mais ils ne sont jamais venus me voir faire ! Ils disent ‘ça, c’est Papa…’. Je continue à trouver ça un peu grisant et un peu flippant, de coller dans la rue, quand il y a des passants : ça m’est arrivé une fois de me faire agresser verbalement, mais aussi que quelqu’un reconnaisse mon boulot, que le dialogue s’instaure : ‘ça met de la poésie’, on m’a dit dit ça une fois.

– Tu dessines pour un lieu, au hasard ?

Ah non, pas au hasard ! Je cherche l’endroit qui génère le dessin, ou, au contraire, je trouve le spot pour le dessin. Et surtout, je ne veux pas dégrader.

– Ta technique, c’est quoi ?

Déjà, faut la trouver tout seul ! Faire des expériences et des essais avec différents papiers, avec du kraft, pour que ce soit éphémère, mais que ça dure un peu. Certains dessins tiennent jusqu’à deux ans. J’aime bien l’idée du temps qui passe dessus. Parfois je projette des photos et je reprends à la bombe, parfois je dessine à l’encre de chine, parfois avec de la peinture, parfois je fais des gravures, parfois des pochoirs, ça dépend des moments et du sujet. Mais je n’utilise quasiment que du noir et du gris.

– Y’a des messages, dans tes collages ?

Ce n’est jamais politique ni engagé. J’ai plutôt envie de faire sourire ou penser à autre chose. Je travaille souvent d’après des photos anciennes, et je laisse aussi venir les influences du cinéma, de la chanson. Mes dessins sont parfois comme des devinettes.

* Le Bison ravi, c’est le nouveau (enfin, « nouveau », c’est quand même ouvert depuis le printemps dernier…) bar de Jean-Ba, l’ancien taulier du Galion, à la Perrière. Et le nouveau nom de « La Bulle », l’un des bars les plus sympas de Lorient. Tout du moins l’un des plus cosy et chaleureux, avec son comptoir ancien et sa petite terrasse en arrière-cour. La déco y a été refaite à la manière du Galion, avec des objets chinés et des souvenirs rock’n roll. Les bulles ont disparu, les murs ont été repeints en lavande pâle, mais l’esprit demeure. Vous pouvez y (re)venir…

 

Les inspirations de Mastabilo

– Les classiques : Ernest Pignon-Ernest, Banksy,  Obey

– Les locaux : Ezra et Kaz, K.liopé, Small axe , Erika Raio, Mélanie Busnel

 

Petit parcours mastabilien à Lorient

– En face du Galion, rue Florian Laporte, le portrait de Jean-Baptiste Pin

– Rue tour des portes, entrée du Grand théâtre « La culture est un sport de combat »

– Quai du Pourquoi-pas, portrait de Ponthus

– Quartier du Péristyle, portrait du gardien de la Maison de l’imprimeur et « Sainte-Wifi, rayonne sur nous »

– Port de pêche « Du passé faisons une table basse »

– K2, Arthur Rimbaud en survèt’

– Terrasse du Bison Ravi, « Mireille Ramone » et « We miss Tic you »

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