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Wannsee. Fabrice Le Hénanff

Isabelle Nivet. Janvier 2019

Il ne faut aller que jusqu’à Quimperlé pour rencontrer l’un des auteurs qui font bouger la BD aujourd’hui. C’est la fourchette dans un chouchou burger qu’on a écouté Fabrice Le Hénanff nous parler de Wannsee, son dernier bouquin, sur un thème qui aurait du nous couper l’appétit, celui de la Shoah.

Jour de pluie à Quimperlé. Chez Chouchou, notre bistrot-bouffe préféré, quand on a rendez-vous à midi, impossible de résister à l’appel des meilleures frites de la Bretagne. Pourtant, le thème de Wannsee n’est pas des plus youplaboum. En 80 pages d’un dessin élégant, parfois sublime, l’ouvrage relate le déroulement de cette conférence secrète  organisée par les SS le 20 janvier 1942, où quinze fonctionnaires du Troisième Reich vont, en moins d’une heure trente, entre les huîtres chaudes et le cognac, planifier le génocide de millions de juifs. Au premier abord, ce n’est pas le thème qui nous a attiré – même si le bouquin s’avère passionnant à lire – mais l’esthétique des dessins, que nous avions repérés lors de l’exposition Miles Hyman à la Maison des Archers. On vous invite vivement à aller voir de plus près ces planches, qui sont à nouveau exposées, au Brizeux cette fois, encore quelques jours en janvier. Car, aussi bien imprimées soient ces pages par Casterman, le papier glacé et le passage à la version bouquin leur fait perdre au moins 30 % de leur puissance, et le choc que l’on ressent face aux originaux vaut largement le déplacement. Le Hénanff s’était muni d’un grand carton à dessin pour l’interview et on a retrouvé l’émotion qui nous avait saisi à leur découverte. Une élégance rêveuse dans le dessin de l’architecture, des lumières froides d’hiver, des clairs-obscurs intérieurs… Un trait vivant, très esthétique, une gestion des couleurs formidable, des bruns, des bleus, des orangés. Des cadrages très cinématographiques, et surtout un beau sens du raccourci, de l’évocation. Au fil des planches, de nombreux plans montrent la Villa Wannsee, bâtisse classique et austère, sous la neige, tandis que s’échappent de ses murs des bulles de dialogue plus glaçantes encore que le froid hivernal qui sévit à l’extérieur. D’autres mettent en opposition image et texte, amplifiant l’horreur clinique du propos. Un gros plan sur un plat de tranches de saucisson tandis qu’on parle d’anéantir un peuple. Un focus sur une pie pendant qu’est expliqué comment tout a été fait pour que les juifs pensent qu’ils allaient être déplacés et se sont laisser emmener « à l’abattoir ».

Pour ce troisième album solo (entendez sans scénariste) Fabrice Le Hénanff a pris des risques. Un sujet difficile, jamais traité en BD, adaptation de la trace écrite de cette réunion et des propos qui s’y sont tenus, qu’il a ultra esthétisé pour faire ressortir la monstruosité, avec des dessins crayonnés et des encres de
couleur, des pastels :

La BD, c’est avant tout l’histoire. Le dessin n’est qu’un support à son service, même si on peut passer une journée sur une case ! On n’est pas là pour faire du beau. Mais là, j’ai fait du beau pour donner du sens… J’ai choisi d’utiliser beaucoup de sépia, moins chatoyant que la couleur. J’ai fait les Nazis très beaux, avec des uniformes très nets.

Dans ce huis-clos, le dessin raconte mieux que tout autre medium une ambiance, en accentuant certaines teintes « À partir du moment où l’annonce est faite, j’ai rajouté des points rouges : les brassards à croix gammée, des verres de vin, la rougeur des visages…. Pour entrer dans le huis-clos, j’ai utilisé beaucoup de
gros plans sur les visages, les expressions, les verres, les mains… J’ai voulu mettre le lecteur à table avec les protagonistes, comme entre deux épaules. »

 

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