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Journal autour de ma chambre. Par Morgane Thomas

Printemps 2020. Texte et photos Morgane Thomas

Enfin une pluie vindicative vint frapper à la porte de ma fenêtre, elle légitima mon errance lascive entre les draps. Je peux laisser traîner mon regard nonchalant sur ce qui m’entoure, l’immobilité des choses me saute aux yeux.

Une cage rouge vide côtoie un tableau fragile d’Isabelle Cayeux : une jeune fille y fait fondre sa robe verte dans un champ. On la devine sautillante et plongée à l’intérieur d’elle-même. Si l’on avait pu voir ses pieds nus, ils auraient sans doute facilement pu fouler le tapis rouge. Cet objet est peut-être le dernier vestige de mon premier appartement.

Les cliquetis tombent du ciel et continuent de s’échouer lamentablement sur mon Velux.
Je me demande s’il y a un point commun entre Alain Rey, le Marsupilami et Raymond Carver. Ils ont tous des poils ?

La pluie se fait plus caressante mais le vent, lui, paraît encore dehors très cinglant.
Dans la salle de bain, le rouge et le blanc sont dominants. Cela contraste un peu avec le vieux Stendhal qui s’étale sur le lit de tout son long.

Je sens le vent s’agaçant à ma fenêtre, peut-être m’imagine-t-il déjà, dans l’espace d’un battement de cil, me laisser aller à une faiblesse, une tentation d’ouvrir un instant l’oscillo-battant. Il pourrait ainsi me saisir et me claquer une bise quasi hivernale.
Hélène K. — ancienne propriétaire des lieux ? — avait laissé sa maison pour vivre en foyer, abandonnant dans les lieux un chevet. Que penserait Hélène K. en le voyant ainsi remaquillé de blanc, chapeauté d’un lavabo livide exhibant un enfant Playmobil ? Elle aurait conclu à une faute de goût sans doute, haussant les épaules pour y souligner le ridicule jouet qui trône, ou qui traîne je ne sais plus.

C’est vrai, qu’est-ce qu’il fout là ce petit con ? Il ne devrait pas être dans un camping-car de 23,2 cm ? Avec sa sœur cadette, ils auraient mis des petits couverts en plastique pour manger des saucisses en plastique cuites par leur papa sur un mini Weber en plastique, pendant que leur maman cette feignasse, les pieds nus dans des claquettes plastique se détend sur un transat en plastique trop étroit pour elle.

Pour les élèves de première qui passent le bac de français, on notera dans l’extrait sus-cité que deux axes se dégagent ; le premier montrant l’inquiétude du personnage principal, le second l’étouffement de celui-ci.

Premièrement, la répétition du mot « plastique » donne un effet dramatique à la scène. « Plastique » aurait été mis en début de phrase, on aurait pu appeler cela une anaphore, mais ce n’est pas le cas sinon le texte aurait perdu de son sens. Le champ lexical de la mignardise : « mini, cadette, 23,2 cm, petits, étroit », souligne combien le héros se sent dans un monde étriqué et exigu. Cet étouffement se retrouve dans l’ironie de la scène : un confinement permanent avec un père qui, tous les jours, depuis des années, cuisine des saucisses en plastique, et une mère qui se laisse aller : la prise de poids devrait bientôt faire céder son siège, tant elle ne se bouge pas. L’acmé de la répugnance de notre jeune héros est signifiée dans le mauvais goût de madame qui fait horreur à son adolescent : elle porte des claquettes sans chaussettes.

Pour conclure, on peut dire que l’auteure pousse le lecteur à s’interroger sur la folie qu’il y a à rester confiné dans ce huis clos ; la répétition des mots, gestes et des personnages met en exergue l’enfermement dans lequel le petit héros se sent piégé, n’ayant plus d’autre choix que de quitter les lieux pour s’offrir un nouvel éden, ce solo en salle d’eau.

Des gouttes de pluie s’accrochent telles des sangsues au verre oblique, je sens dans leur regard la perversion vitreuse de celles qui attendent le faux pas : le moment où je glisserai vers la déraison…

Combien de gouttelettes passent chaque jour dans le pommeau de la douche ? Combien de fois Hitchcock a-t-il tourné la scène de Psychose ? Combien de frottements de serviette suffisent à nous sécher complètement ? La baignoire est-elle en passe de devenir un objet insolite ? Pourquoi n’ai-je pas laissé le tapis de bain quand j’ai pris la photo ? Je sais pourtant qu’avoir les pieds mouillés est une idiosyncrasie. Je prends conscience que je n’aurai pas toutes les réponses à mes questions existentielles.

Un nuage passe…
En Toscane, il y a une femme qui sérigraphie sur de la céramique, je la remercie pour cette contribution à la nature morte qui ressemble étrangement à une scène de crime.

Je jette un œil au carreau : il pleut des piques, je me sens lasse.

Samedi matin,
Lendemain de vendredi soir,
Aïe,
Lever le nez,
Œil vitreux,
Idée limpide,
Enfin presque :
Une armoire à pharmacie,
Un flacon de médicaments,
La tête de Géniol (pendant argentin de l’Alka-Seltzer)…
Réponse au rébus :
Dolicrâne
Urgent,
Lever 13:00 du mat,
Pas moins.

L’averse redouble, cela veut-il dire qu’elle sera encore là l’an prochain ? Double peine.
Il est 17:27 : le réveil doit sonner, Centurion attend 7:20 avec impatience. Il fait 22°, Mister P fait toujours la moue. Il boude. Jamais sur sa grosse tête ronde ne tiendront les boucles de Marie Melon. Ne lui dites pas que je vous l’ai dit, mais en réalité il n’a pas d’oreilles sous son chapeau. Il ne le sait pas. Un jour, pour lui faire plaisir, je lui passerai le sautoir « maison » autour du cou. Titi Robin devait venir chanter à la Dame Blanche à Port-Louis en mars, puis en mai, finalement cela devra attendre septembre. Alors il est là et il patiente sagement, en attendant de se faire tatouer par lui-même à l’encre de rentrée. Je suis pressée de lui faire quitter cette chaise Ikea rouge à gros pieds.

Les lignes entre le monde et le ciel sont de plus en plus floues, un globe s’est pendu à la folie des hommes.

Dans mon cabinet de curiosités, j’ai découvert que Baudelaire a tout piqué à Mylène Farmer.
Cher Charles, 
Que Vous eûtes été interné parce que vous eussiez teint vos cheveux en vert, est un fait avéré. Mais peut-être à l époque eussiez-vous désiré comme Madame F, descendre impunément du ciel, hérissé de poils de carotte, gainé dans un Jean-Paul Gaultier, moulé dans un 34 fillette ?
Et qu’en revendant une place de concert de rouquine, vous eussiez pu vous enfiler quelques litrons d’absinthe et enfumer vos pages de paradis artificiels ?
Bien à vous, M. 

Une nouvelle saucée vient napper mon état dégoulinant. Une larme dans un nuage de lait témoigne de mon insignifiance.
J’ai passé trois mois de ma vie à tenter de tout savoir sur Niki de Saint Phalle, j’ai adoré, je vous le conseille.

Le froid du dehors semble gagner mon dedans.
Peut-être que personne ne me croira mais la femme invisible est assise dans ce fauteuil, plutôt sympa la meuf, bon elle insiste un peu pour que je lui parle du lien œdipien que j’entretenais avec mon père. Est-ce que je lui parle moi de sa chatte invisible qui s’étire sur mon pouf moi ? Ah ! Vous ne l’aviez pas vue, je parie !

La psychanalyse en charentaises c’est quand même plus confort.

PS : me faire penser à concrétiser mon projet de charentaises à talons.


Point de lumière blanche dans ce ciel gris, je suis foudroyée.
A cette heure qui s’égraine, en ce jour qui écume les secondes, je me sens comme une photo de Bob Nicol.

Il ne pleut plus. Un avion rase le toit des maisons. Pourtant elles n’ont pas de barbe.
Tu préfères à vie vivre dans une pièce vide avec un tableau de chaise sur lequel tu ne peux pas t’asseoir ou vivre dans cette même pièce avec « Tout(e) Varda » mais sans lecteur DVD ?

Tiens, revoilà la pluie…

 

En lisant le journal de Morgane, on a eu envie de rebondir sur ses références et vous proposer des liens sérieux, ou pas…

Isabelle Cayeux peintre de Riant(ec)
Alain Rey lexicographe sémillant
le Marsupilami référentiel bondissant
Raymond Carver auteur inspirant (Short cuts, d’Altman, c’est lui) auquel France Culture consacre des lectures
Stendhal  Le rouge et le noir, son deuxième roman, assassiné par Yann Queffélec dans « La Grande Librairie »
Psychose rideau de douche flippant, dans le chef d’oeuvre d’Hitchcock
Titi Robin musicien gourmand
Baudelaire (aller directement à 0:22 dans la vidéo)
Mylène Farmer et Charles Baudelaire euh… un duo surprenant
Jean-Paul Gaultier couturier ébouriffant, le résumé de son défilé d’adieu
Niki de Saint Phalle plasticienne sans rime en ant
Bob Nicol photographe emballant
Agnès Varda forcément, un doc d’Arte
La pluie (bonus)

 

 

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